Ïðèîáðåñòè Êóðñ Çíàòîê

Alexandre Dumas
Le Comte de Monte-Cristo
6 volumes
C. Lévy, 1889.

QUATRIÈME VOLUME

 XVI
LA PROMESSE.

C’était en effet Morrel, qui depuis la veille ne vivait plus. Avec cet instinct particulier aux amants et aux mères, il avait deviné qu’il allait, à la suite de ce retour de madame de Saint-Méran et de la mort du marquis, se passer quelque chose chez Villefort qui intéresserait son amour pour Valentine.

Comme on va le voir, ses pressentiments s’étaient réalisés, et ce n’était plus une simple inquiétude qui le conduisait si effaré et si tremblant à la grille des marronniers.

Mais Valentine n’était pas prévenue de l’attente de Morrel, ce n’était pas l’heure où il venait ordinairement, et ce fut un pur hasard ou, si l’on aime mieux, une heureuse sympathie qui la conduisit au jardin. Quand elle parut, Morrel l’appela ; elle courut à la grille.

— Vous, à cette heure ! dit-elle.

— Oui, pauvre amie, répondit Morrel. Je viens chercher et apporter de mauvaises nouvelles.

— C’est donc la maison du malheur, dit Valentine. Parlez, Maximilien. Mais, en vérité, la somme de douleurs est déjà bien suffisante.

— Chère Valentine, dit Morrel, essayant de se remettre de sa propre émotion pour parler convenablement, écoutez-moi bien, je vous prie ; car tout ce que je vais vous dire est solennel. À quelle époque compte-t-on vous marier ?

— Écoutez, dit à son tour Valentine, je ne veux rien vous cacher, Maximilien. Ce matin on a parlé de mon mariage, et ma grand-mère, sur laquelle j’avais compté comme sur un appui qui ne me manquerait pas, non seulement s’est déclarée pour ce mariage mais encore le désire à tel point que le retour seul de M. d’Épinay le retarde, et que le lendemain de son arrivée le contrat sera signé.

Un pénible soupir ouvrit la poitrine du jeune homme, et il regarda longuement et tristement la jeune fille.

— Hélas ! reprit-il à voix basse, il est affreux d’entendre dire tranquillement par la femme qu’on aime : « Le moment de votre supplice est fixé : c’est dans quelques heures qu’il aura lieu ; mais n’importe, il faut que cela soit ainsi, et de ma part je n’y apporterai aucune opposition. » Eh bien ! puisque, dites-vous, on n’attend plus que M. d’Épinay pour signer le contrat, puisque vous serez à lui le lendemain de son arrivée, c’est demain que vous serez engagée à M. d’Épinay, car il est arrivé à Paris ce matin.

Valentine poussa un cri.

— J’étais chez le comte de Monte-Cristo il y a une heure, dit Morrel ; nous causions, lui de la douleur de votre maison et moi de votre douleur, quand tout à coup une voiture roule dans la cour. Écoutez. Jusque-là je ne croyais pas aux pressentiments, Valentine ; mais maintenant il faut bien que j’y croie. Au bruit de cette voiture, un frisson m’a pris ; bientôt j’ai entendu des pas sur l’escalier. Les pas retentissants du commandeur n’ont pas plus épouvanté don Juan que ces pas ne m’ont épouvanté. Enfin la porte s’ouvre ; Albert de Morcerf entre le premier, et j’allais douter de moi-même, j’allais croire que je m’étais trompé, quand derrière lui s’avance un autre jeune homme et que le comte s’est écrié : « Ah ! M. le baron Franz d’Épinay ! » Tout ce que j’ai de force et de courage dans le cœur, je l’ai appelé pour me contenir. Peut-être ai-je pâli, peut-être ai-je tremblé ; mais à coup sûr je suis resté le sourire sur les lèvres. Mais cinq minutes après, je suis sorti sans avoir entendu un mot de ce qui s’est dit pendant ces cinq minutes ; j’étais anéanti.

— Pauvre Maximilien ! murmura Valentine.

— Me voilà, Valentine. Voyons, maintenant répondez-moi comme à un homme à qui votre réponse va donner la mort ou la vie. Que comptez-vous faire ?

Valentine baissa la tête ; elle était accablée.

— Écoutez, dit Morrel, ce n’est pas la première fois que vous pensez à la situation où nous sommes arrivés : elle est grave, elle est pesante, suprême. Je ne pense pas que ce soit le moment de s’abandonner à une douleur stérile : cela est bon pour ceux qui veulent souffrir à l’aise et boire leurs larmes à loisir. Il y a des gens comme cela, et Dieu sans doute leur tiendra compte au ciel de leur résignation sur la terre ; mais quiconque se sent la volonté de lutter, ne perd pas un temps précieux et rend immédiatement à la fortune le coup qu’il en a reçu. Est-ce votre volonté de lutter contre la mauvaise fortune, Valentine ? dites, car c’est cela que je viens vous demander.

Valentine tressaillit et regarda Morrel avec de grands yeux effarés. Cette idée de résister à son père, à sa grand-mère, à toute sa famille enfin ne lui était pas même venue.

— Que me dites-vous, Maximilien ? demanda Valentine, et qu’appelez-vous une lutte ? Oh ! dites un sacrilège. Quoi ! moi, je lutterais contre l’ordre de mon père, contre le vœu de mon aïeule mourante ! C’est impossible !

Morrel fit un mouvement.

— Vous êtes un trop noble cœur pour ne pas me comprendre, et vous me comprenez si bien, cher Maximilien, que je vous vois réduit au silence. Lutter, moi ! Dieu m’en préserve ! Non, non ; je garde toute ma force pour lutter contre moi-même et pour boire mes larmes, comme vous dites. Quant à affliger mon père, quant à troubler les derniers moments de mon aïeule, jamais !

— Vous avez bien raison, dit flegmatiquement Morrel.

— Comme vous me dites cela, mon Dieu ! s’écria Valentine blessée.

— Je vous dis cela comme un homme qui vous admire, mademoiselle, reprit Maximilien.

— Mademoiselle ! s’écria Valentine, mademoiselle ! Oh ! l’égoïste ! il me voit au désespoir et feint de ne pas me comprendre.

— Vous vous trompez, et je vous comprends parfaitement au contraire. Vous ne voulez pas contrarier M. de Villefort, vous ne voulez pas désobéir à la marquise, et demain vous signerez le contrat qui doit vous lier à votre mari.

— Mais, mon Dieu ! puis-je donc faire autrement ?

— Il ne faut pas en appeler à moi, mademoiselle, car je suis un mauvais juge dans cette cause, et mon égoïsme m’aveuglera, répondit Morrel, dont la voix sourde et les poings fermés annonçaient l’exaspération croissante.

— Que m’eussiez-vous donc proposé, Morrel, si vous m’aviez trouvée disposée à accepter votre proposition ? Voyons, répondez. Il ne s’agit pas de dire vous faites mal, il faut me donner un conseil.

— Est-ce sérieusement que vous me dites cela, Valentine, et dois-je le donner ce conseil ? dites.

— Certainement, cher Maximilien, car s’il est bon, je le suivrai ; vous savez bien que je suis dévouée à vos affections.

— Valentine, dit Morrel en achevant d’écarter une planche déjà disjointe, donnez-moi votre main en preuve que vous me pardonnez ma colère ; c’est que j’ai la tête bouleversée, voyez-vous, et que depuis une heure les idées les plus insensées ont tour à tour traversé mon esprit. Oh ! dans le cas où vous refuseriez mon conseil !…

— Eh bien !… ce conseil ?

— Le voici, Valentine.

La jeune fille leva les yeux au ciel et poussa un soupir.

— Je suis libre, reprit Maximilien, je suis assez riche pour nous deux ; je vous jure que vous serez ma femme avant que mes lèvres se soient posées sur votre front.

— Vous me faites trembler ! dit la jeune fille.

— Suivez-moi, continua Morrel ; je vous conduis chez ma sœur, qui est digne d’être votre sœur ; nous nous embarquerons pour Alger, pour l’Angleterre ou pour l’Amérique, si vous n’aimez pas mieux nous retirer ensemble dans quelque province, où nous attendrons, pour revenir à Paris, que nos amis aient vaincu la résistance de votre famille.

Valentine secoua la tête.

— Je m’y attendais, Maximilien, dit-elle : c’est un conseil d’insensé, et je serais encore plus insensée que vous si je ne vous arrêtais pas à l’instant avec ce seul mot : impossible, Morrel, impossible.

— Vous suivrez donc votre fortune, telle que le sort vous la fera, et sans même essayer de la combattre ? dit Morrel rembruni.

— Oui, dussé-je en mourir !

— Eh bien ! Valentine, reprit Maximilien, je vous répéterai encore que vous avez raison. En effet, c’est moi qui suis un fou, et vous me prouvez que la passion aveugle les esprits les plus justes. Merci donc, à vous qui raisonnez sans passion. Soit donc, c’est une chose entendue ; demain vous serez irrévocablement promise à M. Franz d’Épinay, non point par cette formalité de théâtre inventée pour dénouer les pièces de comédie, et qu’on appelle la signature du contrat, mais par votre propre volonté.

— Encore une fois, vous me désespérez, Maximilien, dit Valentine ; encore une fois, vous retournez le poignard dans la plaie ! Que feriez-vous, dites, si votre sœur écoutait un conseil comme celui que vous me donnez ?

— Mademoiselle, reprit Morrel avec un sourire amer, je suis un égoïste, vous l’avez dit, et dans ma qualité d’égoïste, je ne pense pas à ce que feraient les autres dans ma position, mais à ce que je compte faire, moi. Je pense que je vous connais depuis un an, que j’ai mis, du jour où je vous ai connue, toutes mes chances de bonheur sur votre amour ; qu’un jour est venu où vous m’avez dit que vous m’aimiez ; que de ce jour j’ai mis toutes mes chances d’avenir sur votre possession : c’était ma vie. Je ne pense plus rien maintenant ; je me dis seulement que les chances ont tourné, que j’avais cru gagner le ciel et que je l’ai perdu. Cela arrive tous les jours qu’un joueur perd non seulement ce qu’il a, mais encore ce qu’il n’a pas.

Morrel prononça ces mots avec un calme parfait ; Valentine le regarda un instant de ses grands yeux scrutateurs, essayant de ne pas laisser pénétrer ceux de Morrel jusqu’au trouble qui tourbillonnait déjà au fond de son cœur.

— Mais enfin, qu’allez-vous faire ? demanda Valentine.

— Je vais avoir l’honneur de vous dire adieu, mademoiselle, en attestant Dieu, qui entend mes paroles et qui lit au fond de mon cœur, que je vous souhaite une vie assez calme, assez heureuse et assez remplie pour qu’il n’y ait pas place pour mon souvenir.

— Oh ! murmura Valentine.

— Adieu, Valentine, adieu ! dit Morrel en s’inclinant.

— Où allez-vous ? cria en allongeant sa main à travers la grille et en saisissant Maximilien par son habit la jeune fille qui comprenait, à son agitation intérieure, que le calme de son amant ne pouvait être réel ; où allez-vous ?

— Je vais m’occuper de ne point apporter un trouble nouveau dans votre famille, et donner un exemple que pourront suivre tous les hommes honnêtes et dévoués qui se trouveront dans ma position.

— Avant de me quitter, dites-moi ce que vous allez faire, Maximilien ?

Le jeune homme sourit tristement.

— Oh ! parlez, parlez ! dit Valentine, je vous en prie !

— Votre résolution a-t-elle changé, Valentine ?

— Elle ne peut changer, malheureux ! vous le savez bien ! s’écria la jeune fille.

— Alors, adieu, Valentine !

Valentine secoua la grille avec une force dont on l’aurait crue incapable ; et comme Morrel s’éloignait, elle passa ses deux mains à travers la grille, et les joignant en se tordant les bras :

— Qu’allez-vous faire ? je veux le savoir ! s’écria-t-elle ; où allez-vous ?

— Oh ! soyez tranquille, dit Maximilien en s’arrêtant à trois pas de la porte ; mon intention n’est pas de rendre un autre homme responsable des rigueurs que le sort garde pour moi. Un autre vous menacerait d’aller trouver M. Franz, de le provoquer, de se battre avec lui, tout cela serait insensé. Qu’a à faire M. Franz dans tout cela ? Il m’a vu ce matin pour la première fois, il a déjà oublié qu’il m’a vu ; il ne savait même pas que j’existais lorsque des conventions faites par vos deux familles ont décidé que vous seriez l’un à l’autre. Je n’ai donc point affaire à M. Franz, et, je vous le jure, je ne m’en prendrai point à lui.

— Mais à qui vous en prendrez-vous ? à moi ?

— À vous, Valentine ! Oh ! Dieu m’en garde ! La femme est sacrée ; la femme qu’on aime est sainte.

— À vous-même alors, malheureux, à vous-même ?

— C’est moi le coupable, n’est-ce pas ? dit Morrel.

— Maximilien, dit Valentine, Maximilien, venez ici, je le veux !

Maximilien se rapprocha avec son doux sourire, et, n’était sa pâleur, on eût pu le croire dans son état ordinaire.

— Écoutez-moi, ma chère, mon adorée Valentine, dit-il de sa voix mélodieuse et grave, les gens comme nous, qui n’ont jamais formé une pensée dont ils aient eu à rougir devant le monde, devant leurs parents et devant Dieu ; les gens comme nous peuvent lire dans le cœur l’un de l’autre à livre ouvert. Je n’ai jamais fait de roman, je ne suis pas un héros mélancolique, je ne me pose ni en Manfred ni en Antony : mais sans paroles, sans protestations, sans serments, j’ai mis ma vie en vous ; vous me manquez et vous avez raison d’agir ainsi, je vous l’ai dit et je vous le répète ; mais enfin vous me manquez et ma vie est perdue. Du moment où vous vous éloignez de moi, Valentine, je reste seul au monde. Ma sœur est heureuse près de son mari ; son mari n’est que mon beau-frère, c’est-à-dire un homme que les conventions sociales attachent seules à moi ; personne n’a donc besoin sur la terre de mon existence devenue inutile. Voilà ce que je ferai : j’attendrai jusqu’à la dernière seconde que vous soyez mariée, car je ne veux pas perdre l’ombre d’une de ces chances inattendues que nous garde quelquefois le hasard, car enfin d’ici là M. Franz d’Épinay peut mourir ; au moment où vous vous en approcherez, la foudre peut tomber sur l’autel : tout semble croyable au condamné à mort, et pour lui les miracles rentrent dans la classe du possible dès qu’il s’agit du salut de sa vie. J’attendrai donc, dis-je, jusqu’au dernier moment, et quand mon malheur sera certain, sans remède, sans espérance, j’écrirai une lettre confidentielle à mon beau-frère, une autre lettre au préfet de police pour leur donner avis de mon dessein, et au coin de quelque bois, sur le revers de quelque fossé, au bord de quelque rivière, je me ferai sauter la cervelle, aussi vrai que je suis le fils du plus honnête homme qui ait jamais vécu en France.

Un tremblement convulsif agita les membres de Valentine ; elle lâcha la grille qu’elle tenait de ses deux mais, ses bras retombèrent à ses côtés, et deux grosses larmes roulèrent sur ses joues.

Le jeune homme demeura devant elle, sombre et résolu.

— Oh ! par pitié, par pitié, dit-elle, vous vivrez, n’est-ce pas ?

— Non, sur mon honneur, dit Maximilien ; mais que vous importe à vous ? vous aurez fait votre devoir, et votre conscience vous restera.

Valentine tomba à genoux en étreignant son cœur, qui se brisait.

— Maximilien, dit-elle, Maximilien, mon ami, mon frère sur la terre, mon véritable époux au ciel, je t’en prie, fais comme moi, vis avec la souffrance : un jour peut-être nous serons réunis.

— Adieu, Valentine, répéta Morrel.

— Mon Dieu ! dit Valentine en levant ses deux mains au ciel avec une expression sublime, vous le voyez, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour rester fille soumise : j’ai prié, supplié, imploré ; il n’a écouté ni mes prières, ni mes supplications, ni mes pleurs. Eh bien ! continua-t-elle en essuyant ses larmes et en reprenant sa fermeté, eh bien ! je ne veux pas mourir de remords, j’aime mieux mourir de honte. Vous vivrez, Maximilien, et je ne serai à personne qu’à vous. À quelle heure ? à quel moment ? est-ce tout de suite ? parlez, ordonnez, je suis prête.

Morrel, qui avait de nouveau fait quelques pas pour s’éloigner, était revenu de nouveau, et pâle de joie, le cœur épanoui, tendant à travers la grille ses deux mains à Valentine.

— Valentine, dit-il, chère amie, ce n’est point ainsi qu’il faut me parler, ou sinon il faut me laisser mourir. Pourquoi donc vous devrais-je à la violence, si vous m’aimez comme je vous aime ? Me forcez-vous à vivre par humanité, voilà tout ? en ce cas j’aime mieux mourir.

— Au fait, murmura Valentine, qui est-ce qui m’aime au monde ? lui. Qui m’a consolée de toutes mes douleurs ? lui. Sur qui reposent mes espérances, sur qui s’arrête ma vue égarée, sur qui repose mon cœur saignant ? sur lui, lui, toujours lui. Eh bien ! tu as raison à ton tour ; Maximilien, je te suivrai, je quitterai la maison paternelle, tout. Ô ingrate que je suis ! s’écria Valentine en sanglotant, tout !… même mon bon grand-père que j’oubliais !

— Non, dit Maximilien, tu ne le quitteras pas. M. Noirtier a paru éprouver, dis-tu, de la sympathie pour moi : eh bien ! avant de fuir tu lui diras tout ; tu te feras une égide devant Dieu de son consentement ; puis, aussitôt mariés, il viendra avec nous : au lieu d’un enfant, il en aura deux. Tu m’as dit comment il te parlait et comment tu lui répondais ; j’apprendrai bien vite cette langue touchante des signes, va, Valentine. Oh ! je te le jure, au lieu du désespoir qui nous attend, c’est le bonheur que je te promets !

— Oh ! regarde, Maximilien, regarde quelle est ta puissance sur moi, tu me fais presque croire à ce que tu me dis, et cependant ce que tu me dis est insensé, car mon père me maudira, lui ; car je le connais, lui, le cœur inflexible, jamais il ne pardonnera. Aussi, écoutez-moi, Maximilien, si par artifice, par prière, par accident, que sais-je, moi ? si enfin par un moyen quelconque je puis retarder le mariage, vous attendrez, n’est-ce pas ?

— Oui, je le jure, comme vous me jurez, vous, que cet affreux mariage ne se fera jamais, et que, vous trainât-on devant le magistrat, devant le prêtre, vous direz non ?

— Je te le jure, Maximilien, par ce que j’ai de plus sacré au monde, par ma mère !

— Attendons alors, dit Morrel.

— Oui, attendons, reprit Valentine, qui respirait à ce mot ; il y a tant de choses qui peuvent sauver des malheureux comme nous.

— Je me fie à vous, Valentine, dit Morrel, tout ce que vous ferez sera bien fait ; seulement, si l’on passe outre à vos prières, si votre père, si madame de Saint-Méran exigent que M. d’Épinay soit appelé demain à signer le contrat…

— Alors, vous avez ma parole, Morrel.

— Au lieu de signer…

— Je viens vous rejoindre et nous fuyons ; mais d’ici là, ne tentons pas Dieu, Morrel ; ne nous voyons pas : c’est un miracle, c’est une providence que nous n’ayons pas encore été surpris ; si nous étions surpris, si l’on savait comment nous nous voyons, nous n’aurions plus aucune ressource.

— Vous avez raison, Valentine ; mais comment savoir…

— Par le notaire, M. Deschamps.

— Je le connais.
 
Alexandre Dumas
Le Comte de Monte-Cristo Tome 4