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044 Henri Pourrat Le Trésor des contes |
LE CONTE DU ROI-PETIT (1) |
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Il y avait une fois un pauvre pays et dans ce pays,
une pauvre maisonnette très petite. Une table de deux planches avec une
demi-douzaine d’écuelles brunes. Une demi-douzaine d’écuelles brunes: mais c’est qu’il y avait aussi une douzaine de petits enfants. Toute une ribambelle (2). Et le dernier était le plus petit de tous. Pas plus gros que le roitelet, un garçon qui pèse si peu que quand il se posait sur une fleur il ne la pliait même pas. On surnomma ce douzième garçon le Roi-petit. Il était si petit et toujours gai. Cette famille était très pauvre, surtout cette année-là. La moisson n’avait rien donné: pour tout l’hiver il y avait peu de pain. Au printemps, il ne restait rien. Personne n’avait plus de courage, cette année-là. Mais le Roi-petit restait toujours gai. Pour la famille il y avait trop de ces soirées |
-------------- 1 Le conte du Roi-petit — Ñêàçêà î Êîðîëüêå 2 Toute une ribambelle. — Öåëàÿ êó÷à, äëèííàÿ âåðåíèöà. |
où l'on se couchait sans manger. Le printemps on ne
vit plus de pain dans la maison, plus de grain dans le sac. Le père et la mère
étaient tristes, leurs yeux cherchaient partout dans les coins, mais ne trouvaient
rien de quoi nourrir la famille. Un soir, ils parlaient doucement près de la cheminée. Le père voulait mener les petits bien loin, bien loin, au grand chemin. — Peut-être passera une personne qui les amènera dans quelque bonne maison. Si nous les laissons à la maison, nous les verrons mourir ici. — Oh! mon pauvre homme, gardons seulement le Roi-petit! Il lui faut si peu de pain et il a tant de bon courage! Nous pouvons partager le dernier morceau de pain. Mon Roi-petit, mon petit! — Non, dit l’homme, il doit aller avec ses frères. Le printemps approcha. Un jour, le père sortit de la maison avec tous ses enfants, il les emmena jusqu’au chemin du roi et il les laissa là, tous les douze, sous un grand arbre. — Amusez-vous à regarder qui passe (1). Peut-être passera-t-il une bonne personne qui vous donnera de la galette. Regardez bien! Les enfants qui ne sortaient jamais de leur maison regardaient de tous leurs yeux (2) les gens qui passaient. Le père se cacha derrière un arbre, puis disparut. Les heures passèrent. Les petits commencèrent à pleurer. Le Roi-petit, seul ne pleurait pas. Il pensait: «Si le père ne revient pas dans une heure, il nous faudra demander notre chemin, et peut-être un morceau de pain.» Le père ne revenait pas. Quand les petits eurent trop faim, ils avancèrent jusqu’à la chaussée, et ils priaient les gens de les prendre avec eux. Les gens passaient et ne les écoutaient pas. Parfois un passant s’arrêtait, les écoutait, mais ne donnait rien. Un mendiant leur donna un peu de noix et un passant leur donna un peu de pain. Ils partagèrent ce pain et ces noix entre eux, mais ils ne donnèrent rien au Roi-petit. |
-------------- 1 Amusez-vous à regarder qui passe. — Ðàçâëåêàéòåñü, ãëÿäÿ íà ïðîõîæèõ. 2 de tous leurs yeux — âî âñå ãëàçà |
— Toi, tu n’as pas pleuré et demandé avec nous. Et ils le chassèrent à coup de pierres. Alors le Roi-petit se sauva et grimpa sur un arbre non loin de là. Tout à coup un carrosse passa sur la route. Et dans ce carrosse une petite princesse, petite comme un oiseau. Les frères du Roi-petit se jetèrent au-devant d’elle: — Demoiselle! belle demoiselle! Nous vous prions, prenez-nous en pitié (1). Emmenez-nous dans votre château et donnez-nous à manger. Nous avons faim! — Vous voyez bien, dit-elle, je ne peux prendre qu’un garçon. Mon carrosse est si petit! Je prendrai donc le plus petit de vous, ce garçon que je vois là-haut sur l’arbre. — Descends, mon petit oiseau, tu viendras avec moi. Elle avait vu le Roi-petit. Le Roi-petit descendit de l’arbre et monta dans le carrosse, puis les chevaux repartirent au grand galop. — Quel nom as-tu? lui demanda la princesse. — Le Roi-petit. — Eh bien, mon Roi-petit, tu dois être courageux, peut-être tu peux m’aider? — Avec plaisir, demoiselle. — Je t’emmène au jardin des belles roses, dans mon château où tu auras tout, Roi-petit, seulement... — De tout mon cœur je suis à votre service. (2) — Seulement, sais-tu qu’en tout pays il y a une lieue de méchant chemin à faire (3) ? — Pour vous, je la ferai. Ils arrivèrent dans le château des belles roses. Elles étaient blanches et rouges, le sable était d’or et la belle fontaine de marbre. Le château avait un grand escalier, et tous les murs étaient couverts d’or. — Tu vas souper. Puis tu vas dormir. Mais, pauvre Roi-petit, tu ne dormiras pas longtemps. Au milieu de la nuit ils arriveront, ils frapperont fort à la porte, ils t’appelleront par ton nom, tu ne répondras pas. — Non, mademoiselle. |
-------------- 1 prenez-nous en pitié — ïîæàëåéòå íàñ 2 De tout mon cœur je suis à votre service. — Îò âñåãî ñåðäöà ÿ ê âàøèì óñëóãàì. 3 en tout pays il ó a une lieue de méchant chemin à faire — â êàæäîé ñòðàíå åñòü îïàñíûå äîðîãè |
— Ils entreront et tu souffriras. La nuit sera
mauvaise! Dis, pour l’amour de moi, pourras-tu tout supporter? (1) — Oui, tout, pour l’amour de vous. — Il me faut partir, Roi-petit, te laisser seul. Roi-petit, à demain! — À demain, demoiselle ! Le Roi-petit était courageux et n’avait peur de rien. Ni de la faim, ni du bruit, ni des coups. Dans la vieille petite maison de ses parents où il y avait peu de pain et beaucoup de travail, il avait appris à être courageux. Il ne pensait pas à cette peur. Il pensait seulement à sa princesse. Il soupa et il se coucha. À minuit soudainement on frappa à la porte du château. Et trois voix appelèrent Roi-petit: — Roi-petit! Roi-petit! Il ne répondit pas. En bas, tout à coup la porte s’ouvrit. Trois loups-garous entrèrent (2). C’étaient des hommes rouges, des géants, avec des yeux qui lançaient des flammes. — On t’a trouvé, on te tient, Roi-petit! Et maintenant, on va jouer à te perdre (3). Ils se jettent tous les trois sur le Roi-petit, le roulent, le lancent de l’un à l’autre et l’envoient en l’air, et parfois ils le laissent tomber contre le mur. Quels cris, quels rires! Quel bruit dans ce château! Et ce jeu continue jusqu’au chant du coq. Au chant du coq, les trois hommes rouges s’enfuirent. Puis vint la princesse. — Roi-petit, oh mon Roi-petit, où es-tu? — Je suis là, demoiselle; seulement je suis presque mort. Elle se jeta sur lui: «Mon Roi-petit! Mon Roi-petit!» et lui donna à boire. Puis le Roi-petit vit trois larmes, toutes chaudes, qui tombaient sur sa joue. La princesse les essuya avec son mouchoir blanc. Voilà le Roi-petit guéri. Il regarda sa princesse. Tous |
-------------- 1 pour l'amour de moi, pourras-tu tout supporter? — ñìîæåøü ëè òû âñå âûíåñòè èç ëþáâè êî ìíå? 2 Trois loups-garous entrèrent. — Ïîÿâèëèñü òðè îáîðîòíÿ. 3 on va jouer à te perdre — ñåé÷àñ ìû áóäåì èãðàòü ñ òîáîé, ïîêà òû íå ïîãèáíåøü |
les deux, la main dans la main, ils allèrent au
jardin des belles roses et ils passèrent là des heures merveilleuses jusqu’au
soir. — Roi-petit, Roi-petit, lui dit la princesse, le soir il me faut te quitter encore. Au milieu de la nuit reviendront ces trois-là. Ils t’appelleront. Tu ne répondras pas un mot... Ils entreront et tu souffriras. Ils ne te tueront pas, mais la nuit sera mauvaise. Pour l’amour de moi, pourras-tu supporter, dis, Roi-petit? — Ho, pour l’amour de vous, princesse, ma princesse, je supporterai tout! — Il faut te laisser, Roi-petit... et je te laisse seul, Roi-petit, à demain! — Ma princesse, à demain! Et il resta seul. Au milieu de la nuit, on frappa de nouveau à la porte. On cria: «Roi-petit! Roi-petit...» Les hommes rouges entrèrent par la fenêtre. Ils se jetèrent sur lui, lui ficelèrent les bras, les jambes, et serré, le préparèrent pour le mettre à la broche (1). Puis ils le portèrent devant le feu de la grands salle. Malheureux Roi-petit! Quelle nuit, quelle nuit! Enfin, au chant du coq les trois hommes s’enfuirent. Puis arriva la princesse. — Roi-petit, oh mon Roi-petit, pleurait-elle. — Je suis là, ma princesse. Seulement, je suis presque mort! ... Elle le soigna et elle mit sur son visage de blanches roses. Trois gouttes de sang tombèrent de ses doigts blessés sur la joue du Roi-petit. Voilà le Roi-petit sur pied, le voilà guéri (2). Tous les deux, la main dans la main, ils allèrent au jardin des belles roses. Ils passèrent beaucoup d’heures merveilleuses dans le jardin. — Roi-petit, Roi-petit, lui dit la princesse, le soir il |
-------------- 1 Ils se jetèrent sur lui, lui ficelèrent les bras, les jambes, et serré, le préparèrent pour le mettre à la broche. — Îíè íàáðîñèëèñü íà íåãî, ñâÿçàëè åìó ðóêè è íîãè è ñâÿçàííîãî ñîáèðàëèñü çàæàðèòü íà âåðòåëå. 2 Voilà le Roi-petit sur pied, le voilà guéri. —Âîò Êîðîëåê íà íîãàõ, âîò îí âûçäîðîâåë. |
me faut repartir. Peut-être je ne te reverrai plus.
Mais je te donne ce château, reste dans le château... Et elle lui laissa le mouchoir blanc et le mouchoir rouge brodé de quatre fleurs. Et le Roi-petit resta seul. Les semaines, les mois, les années ont passé. Le Roi-petit pouvait vivre en maître dans le château. Il travaillait dans le jardin et tout le temps il pensait à sa chère princesse. Le jardin des belles roses, oh, qu’était-il sans elle! Que faisait-elle? Où était-elle? Un jour de mars, il monta sur un arbre. C’était pour voir le pays au loin. Il faisait encore froid et le vent traînait dans le ciel des nuages blancs. L’idée lui vint que ce vent pouvait voir sa chère et belle princesse. — Î vent, bon vent! n’as-tu pas vu ma princesse? — Ta princesse? Je ne l’ai pas vue, Roi-petit! Et le vent a passé. Déjà on dit: En février EmmenezPas deux jours pareils. En mars, c’est plus vrai encore. Un jour tant de soleil, l’autre tant de nuages. Du haut de son arbre, le Roi-petit appelle un gros nuage: — Gros nuage, gros nuage, as-tu des nouvelles de ma princesse? Mais le gros nuage passe sans rien dire. Le troisième jour, c’est le vent du midi qui passe. Le Roi-petit, du haut de son arbre appelle ce vent du midi: — Dis-moi, vent du midi, as-tu des nouvelles de ma princesse? Le vent du midi s’arrête pour une minute: — Ta princesse, Roi-petit? Je l’ai vue hier au soir. Elle épouse demain le roi des escarbots. Si le Roi-petit ne tomba pas à terre de l’arbre ce fut parce qu’une branche entra dans sa ceinture (1) et il resta pendu. En voyant le Roi-petit si malheureux le nuage a eu pitié (2). |
-------------- 1 si le Roi-petit ne tomba pas à terre de l’arbre ce fut parce qu’une branche entra dans sa ceinture — Êîðîëåê íå óïàë ñ äåðåâà òîëüêî ïîòîìó, ÷òî çàöåïèëñÿ çà âåòêó ïîÿñîì 2 le nuage a eu pitié — îáëàêî ñæàëèëîñü íàä íèì |
— Écoute, Roi-petit, monte sur mon épaule. Moi, je
t’amènerai au château de la reine. — Merci, bon nuage. Je veux offrir mon service (1) à ma princesse avant le jour des noces. Le nuage l’emporta au-dessus des campagnes, de la rivière de la Loire, de la rivière du Rhône, dés forêts, des prés et des champs. — Tu n’as pas peur? demandait le nuage. — J’ai peur d’arriver trop tard chez ma princesse. — Tu n’as pas froid? — Je n’ai pas froid, puisque c’est chez ma princesse que je vais. — Tu n’as pas faim? — Non, je veux seulement voir ma belle princesse. Et ils arrivèrent au château de sa chère princesse. Le nuage le porta par la fenêtre ouverte dans une salle haute, la salle de la reine. Et le Roi-petit se cacha comme un oiseau derrière la tapisserie. (2) Mais il posa sur la table le mouchoir blanc de la princesse. Quand la princesse arrive, elle aperçoit le mouchoir. Elle devient pâle et dit: — Roi-petit, oh mon Roi-petit ! Où es-tu? Et elle demande au roi des escarbots de retarder les noces. Le lendemain elle revient à la salle haute. À l’entrée elle voit sur sa chaise le mouchoir rouge. Elle devient aussi rouge que le mouchoir. — Roi-petit, mon Roi-petit! Il ne m’a donc pas oubliée! Il est toujours à moi, de tout son cœur à moi. Vite, vite, elle dit au roi des escarbots que leurs noces ne peuvent se faire. — Roi-petit, oh mon Roi-petit! Si tu es ici, viens ici, Roi-petit! Toute rouge la petite princesse l’appela. Et il sortit de sa cachette. Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. (3) |
-------------- 1 je veux offrir mon service — ÿ õî÷ó óñëóæèòü åé 2 Et le Roi-petit se cacha comme un oiseau derrière la tapisserie.—È Êîðîëåê ñïðÿòàëñÿ òàì, êàê ïòè÷êà, çà êîâðîì, âèñÿùèì íà ñòåíå. 3 Ils se jetèrent dans les bras l'un de l’autre. — Îíè áðîñèëèñü äðóã äðóãó â îáúÿòèÿ. |
Et le même jour se firent les noces du Roi-petit et
de la princesse. Et le lendemain Le coq chanta, Et mon conte finit là. |
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