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044 Henri Pourrat Le Trésor des contes |
LE CONTE DES SEPT CORBEAUX |
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Il y avait une fois un homme, père de sept garçons.
Sa maison était près d’une fontaine. Et il vivait là heureux avec ses sept enfants
et sa femme. Un jour, le sort lui envoya une fille. Mais si petite ! Une vraie souris. Il fallait laver l’enfant. Dans toute la maison, il n’y avait pas d’eau. — Garçons, courez à la fontaine! Les garçons prennent les cruches et courent, donc, tous les sept à la fontaine. La fontaine était près d’un rocher. Chacun voulait lui-même remplir sa cruche. Chacun voulait le premier apporter l’eau à sa petite sœur. Ils se pressèrent tous tant, qu’ils brisèrent leurs cruches en mille morceaux. Le père attendait avec impatience ses garçons qui ne revenaient pas de la fontaine. Il ouvre la fenêtre et il entend de loin le bruit d’une dispute. — Je veux, crie-t-il, je veux que ces garçons soient changés en corbeaux. (1) |
-------------- 1 Je veux que ces garçons soient changés en corbeaux. — Õîòåë áû ÿ, ÷òîáû ýòè ìàëü÷èøêè îáåðíóëèñü âîðîíàìè. |
À peine a-t-il parlé, que par la fenêtre il voit
sept corbeaux qui s’envolent de la fontaine. Ils tournent trois fois autour de la
maison, puis disparaissent dans l’air. Le père regarde et comprend que les sept garçons sont changés en sept corbeaux... Quel malheur! Et ils pleurèrent, sa femme et lui, pendant longtemps. Les sept garçons partis, resta la petite fille. Un jour quand elle avait huit ans elle alla à la fontaine et elle entendit qu’une femme disait à sa voisine: — La belle enfant, maintenant, que cette petite! Mais ses frères aussi étaient de beaux enfants. Quel malheur de les perdre tous les sept d’un coup ! (1) La petite s’arrêta changée en pierre (2). Puis, s’approcha de la femme. — J’ai donc eu sept frères autrefois? La femme lui raconta ce qui était arrivé à cette fontaine, le jour de sa venue au monde. — Ah, maintenant je sais pourquoi mon père et ma mère sont toujours tristes. Ensuite elle rentra à la maison, posa la cruche, puis courut vers sa mère. — Ma mère, ma mère, je sais pourquoi vous êtes toujours triste. Mais c’est pour moi, parce que mes frères allaient prendre de l’eau pour moi, que mes sept frères sont devenus corbeaux. À présent, c’est à moi de les trouver. Je ne rentrerai pas à la maison sans mes frères. À ces mots la pauvre mère se mit à pleurer parce que l’enfant voulait aller à la recherche de ses frères. Vivre sans ses garçons, la mère ne le pouvait plus. Alors, alors, elle laissa la petite aller à la recherche des sept corbeaux. Elle lui donna seulement un petit tabouret de bois à trois jambes pour se reposer en route. La petite emporta le tabouret et mit dans sa poche la bague de sa mère, et elle partit chercher les garçons à travers le monde. Elle commença à monter vers les monts, au bord du monde. En chemin elle rencontra une vieille. — Où vas-tu, petite au tabouret de bois? — Je vais, madame, chercher mes sept frères. |
-------------- 1 les perdre tous les sept d’un coup — ïîòåðÿòü èõ ñðàçó âñåõ ñåìåðûõ 2 changée en pierre — êàê îêàìåíåëàÿ |
— Petite au tabouret, tu ne les trouveras pas! Mais
moi, je peux te dire le chemin de leur maison qui est au haut d’une montagne de
verre où il est trop difficile de monter car pour un pas qu’on fait en avant, on y
glisse aussitôt de trois pas en arrière. — Oh, madame, pour trouver mes frères je ferai tout! — Voici, donc, ma petite, voici de bons souliers chauds. Voici aussi la clef qui ouvre la maison où chaque soir reviennent tes frères. Prends tout ça, mais sache que des peines t’attendent (1). Pour son père, pour sa mère elle voulait aller. L’idée de retrouver ses frères lui donnait des forces. La voilà repartie. Il faut marcher. Il faut monter. Et elle va par un chemin de pierres. Elle est fatiguée. Elle veut s’asseoir, mais elle ne le peut pas. Elle va, elle monte toujours. Enfin, enfin elle arrive au pied de la montagne de verre. Elle chausse ses souliers. Elle commence à monter. Un pas en avant, trois pas en arrière. Elle glisse, mais se relève. Cependant elle monte encore. Cette montagne est si haute! Enfin la petite est arrivée tout au haut devant une maisonnette. Dans la poche elle veut prendre la clef que lui a donnée la vieille... Oh malheur! La clef n’est plus là... Que faire? Alors elle met son petit doigt dans le trou de la serrure. Et voici, qu’il entre. Elle le tourne. Voici que la porte s’ouvre. Elle entre dans la maisonnette, à demi morte de fatigue et de faim (2). Elle va près du feu où la soupe cuit, coupe du pain, prend la soupe, tombe sur une chaise et se met à manger. Puis dans un verre elle se verse de l’eau. À ce moment elle voit les sept corbeaux qui arrivent. Aussitôt, elle jette la bague de sa mère dans le verre et se cache vite. Ses frères entrent. Comme tous les soirs au soleil couchant, ils avaient repris pour la nuit forme humaine (3). — Quelqu’un est entré dans la maison, dit le premier: la porte était ouverte. |
-------------- 1 sache que des peines t’attendent — çíàé, ÷òî òåáÿ æäóò òðóäíîñòè 2 à demi morte de fatigue et de faim — ïîëóìåðòâàÿ îò óñòàëîñòè è ãîëîäà 3 au soleil couchant, ils avaient repris pour la nuit forme humai- ne — ïîñëå çàêàòà ñîëíöà îíè ïðèíÿëè ÷åëîâå÷åñêèé îáëèê |
— Quelqu’un s’est assis près du feu, dit le
deuxième: la chaise n’est plus à la place. — Quelqu’un a touché à la soupe, dit le troisième. — Quelqu’un a touché au gâteau, dit le quatrième: le gâteau n’a plus son couteau. — Quelqu’un a touché à la bouteille, dit le cinquième: la bouteille n’a plus son bouchon. — Quelqu’un a mangé dans mon assiette, dit le sixième: il y a de la soupe dedans. — Et quelqu’un a bu dans le verre, dit le septième: dans ce verre, il y a de l’eau. Il regarde mieux et, dans le verre, il voit la bague. — C’est la bague de notre mère! Je le sais maintenant, notre sœur est ici. Alors, elle sort et embrasse ses frères. — Oui, je suis votre sœur et je viens vous chercher (1). Mais pour ne pas redevenir corbeaux, il leur fallait (2): rentrer à la maison de leur père cette nuit même, aller boire de l’eau à la fontaine avant le jour. Et elle qui ne pouvait plus faire un seul pas tant elle était fatiguée. Et il fallait cette nuit descendre la montagne de verre. Mais puisqu’il fallait, il fallait (3). Ils s’assirent les uns derrière les autres, elle en tête pour leur montrer la route. Et ils se glissèrent ainsi de la montagne. Ils arrivèrent au bas de la montagne. Puis accompagnés toujours de leur petite sœur, dans leur pays, sur le chemin de leur maison, ils arrivèrent à leur fontaine. Les voilà pour toujours garçons. Les voilà avec leurs père et mère, avec leur sœur, tous ensemble près de leur fontaine, heureux comme autrefois. |
-------------- 1 je viens vous chercher — ÿ ïðèøëà çà âàìè 2 il leur fallait — èì íàäî áûëî 3 Mais puisqu’il fallait, il fallait.—Íî åñëè íàäî, çíà÷èò, íàäî. |
Henri Pourrat Le Trésor des contes |