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044 Henri Pourrat Le Trésor des contes |
LE CONTE DE LA BRANCHE QUI CHANTE, DE L’EAU QUI REND LA JEUNESSE ET DE L’OISEAU DE VÉRITÉ |
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Il y avait une fois un roi qui était vieux. Il
voulait voir dans son pays tout le monde heureux. Ce roi se mit à faire le tour du
pays (1). Il entrait dans chaque maison et demandait si tout le monde était
content. Il alla chez son voisin. L’homme avait trois filles. Le roi entra, il les salua, il s’adressa à l’aînée: — Quel rêve avez-vous fait (2), cette nuit, demoiselle? — Oh, sire, je n’oserai vous le dire! S’il faut, je le dirai. Sire, voici mon rêve: c’était que j’épousais votre cuisinier.... — Très bien, mademoiselle, ce que vous avez rêvé cette nuit s’accomplira. Il s’adressa à la deuxième: — Quel rêve avez-vous fait cette nuit, demoiselle? |
-------------- 1 faire le tour du pays — ñîâåðøèòü ïóòåøåñòâèå ïî ñòðàíå 2 quel rêve avez-vous fait ? — ÷òî âû âèäåëè âî ñíå ? |
— Sire, je n’oserai vous le dire. Mais s’il faut, je
le dirai. Mon rêve, le voici: c’était que j’épousais votre valet de chambre ! — Très bien, mademoiselle, ce que vous avez rêvé cette nuit s’accomplira. Enfin il s’adressa à la plus jeune: — Mademoiselle, et vous? La jeune fille le regarda: elle devient rouge comme une cerise. Et ses yeux brillent comme des étoiles. — Sire, je n’oserai vous le dire. — Mademoiselle, il le faut... — Sire, mon rêve, c’était que je vous épousais vous-même. — Mademoiselle, ce que vous avez rêvé cette nuit s’accomplira. Et le roi partit. Mais les deux sœurs ! Elles étaient rouges de colère! Comment! Notre sœur, elle sera Madame la reine! Et nous, ses aînées, femme d’un cuisinier, femme d’un valet de chambre! Nous serons quoi? ses domestiques! Et les deux sœurs criaient, criaient! Ah! mais elles se vengeront! Un peu plus tard, au mois de mai, les trois noces se firent. Tout alla comme le roi le voulait: les deux aînées furent femmes d’un cuisinier et d’un valet de chambre, la plus jeune, Madame la reine. Et des mois passèrent. Puis une grande guerre éclata. Le roi partit. Pendant qu’il n’était pas là, la reine a mis au monde un fils (1). Les deux sœurs étaient auprès d’elle. Elles ont mis l’enfant dans un panier et elles ont mis ce panier sur la rivière. Elles ont trouvé un petit singe que le roi avait dans son château. Elles ont pris ce singe et à la place du petit garçon, elles l’ont donné à leur sœur. Plus loin, plus loin près de la rivière, se trouvait au bord de l’eau, le jardin d’un vieux jardinier et d’une vieille jardinière. Ils demeuraient tous les deux là, dans une pauvre maisonnette. Un soir, le jardinier descendit à la rivière. Là, voilà qu’il entendit la voix d’un enfant qui pleurait. Il regarda et découvrit dans un panier ce tout petit enfant... Vite il le prit, vite il le porta à la maison. — Pauvre femme, devine ce que je t’apporte? — Et que m’apportes-tu, pauvre homme? |
-------------- 1 (elle) a mis au monde un fils — ðîäèëà ñûíà |
— Un tout petit garçon! Nous n’avons pas d’enfants:
gardons-le! Le roi, cependant, était revenu de guerre. Sa femme lui présenta le petit singe comme leur fils. Le roi ne pouvait revenir de son étonnement. (1) Et des mois passèrent. Une autre guerre éclata. Le roi de nouveau repartit. Et tandis qu’il était loin, la reine eut un autre fils. Et les deux sœurs étaient auprès d’elle. Mais cette fois elles donnèrent à la reine un petit lion. Et l’enfant, elles le mirent dans un panier sur la rivière. Le panier arriva de nouveau chez le jardinier. Lorsque le jardinier apporta à sa femme le panier, elle leva les mains en l’air. — Oh, pauvre homme, nous avons déjà un garçon! — Que veux-tu, pauvre femme? Le petit pleurait tant. Il faut le garder. — Eh bien, ils s’amuseront tous les deux. Quand le roi revint de guerre, on lui présenta le lion comme son enfant. Le pauvre roi ne pouvait croire ses yeux. Mais il aimait tellement sa femme qu’il ne dit rien. Une troisième guerre commença et de nouveau le roi repartit. Et des mois passèrent. La reine mit au monde une jolie petite fille. Et ce sont encore les deux sœurs qui remirent à la reine un petit crocodile. Le jardinier en descendant à la rivière trouva cette petite fille. — Hé, pauvre femme, voilà encore un enfant pour nous! — Nous avions déjà deux garçons, tu m’en apportes un autre? — Mais cette fois, c’est une fille, pauvre femme. Elle t’aidera dans le ménage. Mais lorsque le roi revint et que sa femme lui présenta ce petit animal, il recula de plus de quatre pas (2). Puis la main sur les yeux, il quitta la chambre. Et il ordonna d’enfermer sa femme dans une tour. Des mois passèrent, des étés et des hivers. Les trois enfants, cependant, grandissaient chez le jardinier. Ils savaient que non loin d’eux il y avait une fontaine où on trouvait la branche qui chante, l’oiseau qui dit la vérité et l’eau qui rend la jeunesse. |
-------------- 1 Le roi ne pouvait revenir de son étonnement.— Êîðîëü íå ìîã ïðèéòè â ñåáÿ îò èçóìëåíèÿ. 2 il recula de plus de quatre pas — îí îòïðÿíóë íàçàä |
Le jardinier avait donné à chaque enfant un jardin
avec un beau rosier. L’aîné voulait partir à la recherche de cette fontaine. «Je
vous rapporterai de l’eau», disait-il au jardinier et à la jardinière qui étaient
déjà vieux et pouvaient à peine marcher. Ils prièrent le garçon de ne pas les
quitter. Avant de partir, l’aîné dit à son frère: — Si tu vois mon rosier qui commence à jaunir tu sauras que je suis en danger. Et il partit. Au bord d’une rivière il rencontra une vieille femme. — Garçon, où vas-tu? — Je vais chercher la branche qui chante, l’eau qui rend la jeunesse et l’oiseau qui dit la vérité. — Eh bien, écoute: quand tu iras assez loin, tu entendras de la musique, mais ne bouge pas et ne l’écoute pas, va toujours! Bon, le garçon obéit. Il avança le pas et il se boucha les oreilles (1). Mais lorsqu’il entendit la musique, il ôta ses doigts pour mieux entendre. Et aussitôt il fut changé en pierre. (2) Tous les matins et tous les soirs, son frère descendait au jardin, et il allait voir le rosier. Un jour il vit que le rosier commençait à jaunir. Vite, vite, il alla chez sa sœur. — Soigne mon rosier, soigne nos parents. Mon frère est mort, je dois partir. Loin là-bas, sur le chemin, au bord d’une rivière il rencontra la même vieille femme: — Garçon, où vas-tu? Elle prononça les mêmes paroles. De même que son frère, il écouta la leçon. Il alla vers la fontaine, il se boucha bien les oreilles. Mais la musique était si belle qu’il voulut l’entendre. Et il fut changé en pierre. Le soir dans le jardin, la jeune fille vit que le rosier de son frère était jaune. Elle courut à la maison et dit qu’elle devait partir à son tour. Alors le jardinier et la jardinière commencèrent à pleurer. — Non, non, ne pars pas. Tu vois, tes frères sont morts. Reste avec nous dans le jardin de la rivière! Si tu pars, toi aussi, tu ne reviendras plus. |
-------------- 1 Il avança le pas et il se boucha les oreilles. — Îí óñêîðèë øàãè è çàòêíóë óøè. 2 Et aussitôt il fut changé en pierre. — È ñðàçó æå îí áûë ïðåâðàùåí â êàìåíü. |
— Oh, si, je reviendrai! Laissez-moi partir! Sur le chemin, là-bas, au bord de la rivière, elle rencontra la vieille femme. — Fillette, où vas-tu? — Je cherche la branche qui chante, l’eau qui rend la jeunesse et l’oiseau qui dit la vérité. Et puis aussi je cherche mes frères. — Eh bien, écoute... La vieille lui fit la leçon comme à ses frères. La jeune fille continua son chemin, se boucha les oreilles pour ne pas entendre cette musique. Quand elle entendit cette musique, elle marcha plus vite et elle arriva à la fontaine. Là elle coupa la branche d’où sortait cette musique. Elle prit l’oiseau qui était sur la branche. Puis à la fontaine, elle remplit sa cruche d’eau, et se mit en route (1) avec la branche, l’oiseau et la cruche d’eau. Mais voilà que chaque goutte qui sautait de la cruche changeait les pierres du chemin en garçons (2). Et voilà les deux frères revenus à la vie (3). Pendant ce temps, le vieux jardinier accourait sur ses jambes tremblantes et criait à la vieille jardinière: — Les rosiers ont reverdi! Nos enfants sont vivants, pauvre femme, ils seront bientôt là! Là-dessus, les trois enfants arrivent. Sans attendre, la jeune fille prit la cruche et versa une goutte d’eau sur le front de son père, une goutte sur le front de sa mère. Les deux pauvres qui étaient bien vieux, les voilà de nouveau jeunes. La petite posa la branche et son oiseau sur la table. Les deux frères étaient si contents d’être à la maison qu’ils voulaient faire une fête: fêter leur sœur, fêter leurs parents. Ils partirent pour la chasse chercher du gibier. Dans la forêt, ils attrapèrent un chevreuil. Ils poursuivirent leur chasse et arrivèrent ainsi dans le parc du roi. Chasser chez le roi! Dans son parc! Et cependant les deux frères n’avaient pas peur. Le roi était là devant eux et il les regardait avec bonté. Les deux frères alors racontèrent au roi |
-------------- 1 (elle) se mit en route — ïóñòèëàñü â ïóòü 2 chaque goutte qui sautait de la cruche changeait les pierres du chemin en garçons — êàæäàÿ êàïëÿ, êîòîðàÿ ïàäàëà èç êóâøèíà, ïðåâðàùàëà ïðèäîðîæíûå êàìíè â ìàëü÷èêîâ 3 revenus à la vie — îæèëè |
pourquoi ils chassaient. Et ils invitèrent le roi
dans leur maison au bord de la rivière. Au milieu du dîner, l’oiseau de vérité se mit à chanter (1) sur la branche: «Sire, voilà tes trois enfants, Singe, lion et crocodile!» Trois fois l’oiseau répéta la même chose. Le roi ne comprenait toujours pas. Alors il demanda au jardinier ce que l’oiseau voulait dire. Les vieux racontèrent au roi comment ils avaient trouvé les trois enfants dans des paniers sur la rivière. «Sire, voilà tes trois enfants, Singe, lion et crocodile!» De nouveau l’oiseau chanta sur la branche. Et le roi comprit. La jeune fille prit alors la cruche et versa une goutte d’eau sur la tête du roi. Et le voilà jeune de nouveau. Tout de suite le roi et ses trois enfants allèrent délivrer leur mère enfermée dans la tour. Ensuite le roi ordonna de pendre ses deux belles-sœurs. Le roi ne voulait pas séparer le jardinier et la jardinière de ses enfants. On alla les chercher pour les mettre dans le château. Et depuis ce jour-là tout le monde est heureux près de cette eau qui rend la jeunesse, de cet oiseau qui dit la vérité et de la branche qui chante la musique. |
-------------- 1 (il) se mit à chanter — ïðèíÿëàñü ïåòü |
Henri Pourrat Le Trésor des contes |