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044 Henri Pourrat Le Trésor des contes |
LE CONTE DE LA DEMOISELLE AU LONG NEZ |
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Il y avait un garçon qui sortit de la maison par un
matin de brouillard et qui ne put retrouver sa maison. Il ne la chercha pas beaucoup. Il n’avait plus ni père, ni mère. Depuis longtemps il désirait voyager par la France. Libre comme l’air, il partit. Il avait dans sa poche seulement trente sous. Ses sous ne firent pas longtemps (1). Il continua cependant la route. Il ramassait les pommes dans l’herbe et couchait à la belle étoile (2). Un matin il arriva à un moulin qui ne tournait pas du tout. Dans la cour, il vit une jeune fille qui était triste. Mais son visage avait l’air si bon, si doux qu’on était content de la regarder. — Votre moulin, dit le garçon, ne tourne pas ! Il vit une larme qui tombait des yeux de la jeune fille. Elle dit: — Je demeurais seule ici avec mon père, mais mon père est mort, et le moulin ne tourne plus. Il faut le réparer. |
-------------- 1 Ses sous ne firent pas longtemps. — Äåíåã õâàòèëî íåíàäîëãî. 2 à la belle étoile — ïîä îòêðûòûì íåáîì |
— Je suis un peu charpentier, dit le garçon, voyons
cela! Il entra dans le moulin. Il regarda le moulin, il vit qu’une pièce de la mécanique était cassée, et il se mit au travail. — Mais, disait cette fille, c’est que je n’ai pas d’argent... Comment vous payer? — Voyez: ce ne sera pas long, tout sera fait avant la nuit. L’après-dîner, tout était fait. — Un grand merci je peux vous dire! Les gens reviendront dès qu’ils sauront que le moulin tourne. Je mettrai l’argent de côté, et quand vous viendrez je vous paierai. Mais je sais ce que je vous donnerai maintenant: j’ai dans un coffret, sous une pierre une bourse vide, une ceinture de cuir et un cornet de cuivre comme en ont les chasseurs (1). Pour lui faire plaisir, le garçon accepta les trois choses: mit la bourse dans sa poche, prit la ceinture, se pendit le cornet au col par un cordon (2) et prit le chemin. La petite meunière le suivait des yeux. Il arriva dans un pays où tous les gens étaient gourmands, toutes les filles étaient jolies, et la fille du roi plus gourmande et plus jolie que toutes les autres. «Je veux voir la fille du roi, dit-il. Qui sait, tout peut venir! Je n’avais rien: j’ai déjà une bourse. C’est vrai qu’elle est vide. Il me faudrait cinquante écus. (3) » Au même instant, il lui semble que quelque chose de lourd se trouve dans sa poche. Il met la main dans la poche, tire cette bourse et voit de l’argent. «Mais, je rêve...» Il vide la bourse, compte les pièces: cinquante écus... «Ah ça, cinquante écus! Il me faudrait encore cinquante écus.» Et voilà la bourse pleine. Il recommence, et la bourse s’emplit de beaux écus. «La petite meunière ne savait point cela! Je dois lui rapporter la bourse. Mais d’abord il faut remplir la bourse.» |
-------------- 1 une bourse vide, une ceinture de cuir et un cornet de cuivre comme en ont les chasseurs — ïóñòîé êîøåëåê, êîæàíûé ïîÿñ è ìåäíûé ðîã, êàê ó îõîòíèêîâ 2 (il) se pendit le cornet au col par un cordon — (îí) ïîâåñèë ñåáå íà øåþ ðîã íà øíóðêå 3 Il me faudrait cinquante écus. — ß áû õîòåë, ÷òîáû òàì áûëî 50 ýêþ (ýêþ — ñòàðèííàÿ ìîíåòà). |
«Riche comme le roi! Plus riche que le roi!» criait
le garçon. Et il se mit à sauter, à crier et à chanter. Il criait si fort que
d’une lieue on a pu l’entendre (1). Les voleurs ont l’oreille fine. Tout à coup il vit une compagnie de voleurs. Et lui, là, au milieu, tout seul et sens secours. Sans rien savoir il saisit le cornet et le porta à ses lèvres. Au son de cette corne apparurent beaucoup de gardes. Ils tombèrent sur les voleurs, et les mirent en fuite (2). Un peu plus loin, la même histoire. Une autre compagnie de voleurs parut... Le garçon eut juste le temps de prendre son cornet. Les gardes arrivèrent et mirent les voleurs en fuite. «Quel mauvais pays, se disait-il. Je veux être dans la ville du roi et voir sa fille.» À l’instant il se vit devant le château du roi. La demoiselle passa dans son carrosse d’or. Il comprit que la ceinture était fée (3), comme le cornet et la bourse. «Il faudra les rendre tous trois à cette fille, mais tant que je suis dans ce pays, je peux en user un peu (4).» C’est facile d’être riche quand on a une pareille bourse. Le garçon s’habilla en seigneur, il acheta un château, il donna bals et fêtes. Et la fille du roi voulut aussi venir chez lui. Elle arriva avec son air de chatte blanche (5). Les seigneurs jouaient aux cartes. Le garçon perdait beaucoup et tirait toujours de sa bourse des monnaies d’or. Il était déjà tard. La fille du roi invita le garçon à l’accompagner dans son carrosse d’or. Et là, dans le carrosse, il ouvrit le secret de sa bourse. Pour faire l’essai (6), il mit la bourse dans les mains de la princesse. Ils arrivèrent au château de son père. Elle descendit, la bourse dans sa main et ferma la porte du château derrière elle. |
-------------- 1 Il criait si fort que d’une lieue on a pu l’entendre. — Îí êðè÷àë òàê ãðîìêî, ÷òî åãî áûëî ñëûøíî çà âåðñòó. 2 Ils tombèrent sur les voleurs et les mirent en fuite. — Îíè íàáðîñèëèñü íà âîðîâ è îáðàòèëè èõ â áåãñòâî. 3 il comprit que la ceinture était fée — îí ïîíÿë, ÷òî ïîÿñ áûë âîëøåáíûì 4 je peux en user un peu — ÿ ìîãó èìè íåìíîãî ïîïîëüçîâàòüñÿ 5 avec son air de chatte blanche — ñ âèäîì áåëîé êîøå÷êè 6 pour faire l’essai — ÷òîáû ïîêàçàòü, êàê îí äåéñòâóåò |
Le garçon frappa à la porte. Mais la porte restait
toujours fermée. Le garçon rentra chez lui fort en colère (1). Toute la nuit il adressait des reproches à la demoiselle. Mais le matin, tout à coup, il se mit à rire. Le cornet! Plusieurs fois il en sonna (2). Encore, encore. Et il eut auprès de lui des centaines de soldats. Alors il marcha sur le château du roi. La demoiselle parut à la fenêtre. — Qu’avez-vous? Pourquoi tous ces soldats? Je voulais seulement montrer votre bourse à mon père. Et elle regarda le garçon doucement. — Je vous donne permission d’aller demander ma main au roi mon père (3): nous ferons les noces ce soir! Le garçon croyait déjà entendre les cloches, et la tête lui tournait (4). Et pour cette fois il ouvrit le deuxième secret! Il tira le cornet de sa chemise, il le montra à la princesse. Comme par jeu (6), elle tendit la main, se saisit du cornet, souffla une fois, deux fois, assez de fois pour avoir une troupe plus forte encore que la troupe du garçon. En un moment tout changea. Et le pauvre garçon se sauva simplement, et se cacha dans un pommier et là sur la branche il attendit la nuit. — Est-ce bien possible! Elle m’a trompé! Ah! Si je la tenais maintenant je crois que je la tuerai. Pourquoi ne suis-je dans sa chambre! À peine dit-il ces mots qu’il se trouva dans la chambre de la princesse, car le garçon avait toujours la ceinture fée. La princesse s’éveilla: — Hélas! Vous m’en voulez (6)? Pourquoi vous êtes-vous enfui? Au lieu de reprendre la bourse, le cornet et de disparaître aussitôt le garçon restait. |
-------------- 1 fort en colère — î÷åíü çëîé 2 Plusieurs fois il en sonna. — Îí ïðîòðóáèë íåñêîëüêî ðàç. 3 je vous donne permission d’aller demander ma main au roi mon père — ÿ âàì ðàçðåøàþ ïðîñèòü ìîåé ðóêè ó ìîåãî îòöà — êîðîëÿ 4 Le garçon croyait déjà entendre les cloches, et la tête lui tournait. — Ìîëîäîìó ÷åëîâåêó êàçàëîñü, ÷òî îí ñëûøèò óæå çâîí êîëîêîëîâ (â äåíü ñâîåé ñâàäüáû), è ãîëîâà ó íåãî çàêðóæèëàñü. 5 comme par jeu — êàê áû èãðàÿ 6 Hélas! Vous m’en voulez? — Óâû, âû ñåðäèòåñü íà ìåíÿ? |
— Ah! je vois bien que vous ne m’aimez pas!
disait-elle. Tout de suite vous avez mal pensé de moi! Et la princesse donne au garçon un baiser. Et il lui dit le secret de la ceinture. Par curiosité elle voulut voir la ceinture... Elle la dénoua, s’en ceignit... (1) Et comme elle voulait être seule dans sa chambre, elle y fut (2). Et le pauvre garçon se trouva seul au bout du monde. Seul! Sans sa bourse, sans son cornet, sans sa ceinture... Si triste! Il tomba au pied d’un arbre et se mit à pleurer. Il pleura le reste de la nuit, un jour et une nuit encore. Lorsqu’il se calma, il mourait de faim. Alors, il vit que l’arbre, sous lequel il pleurait, portait des pommes, pas tout à fait pommes, mais aussi rouges que la pomme, peut-être plus rouge. Il cueillit cinq pommes et les mangea. Quand il eut fini il sentit que son nez se met à pousser et devient si long qu’il traîne jusqu’à terre. Il avait mis cinq autres de ces pommes dans une de ses poches. Le soir il s’arrêta sous un autre pommier qui portait d’autres pommes: plus jaunes que l’or. Il cueillit une pomme jaune. Il la mangea. Or, il s’aperçut que le nez devenait plus court. Le garçon mangea une deuxième pomme, puis une troisième, puis une quatrième. È la cinquième le nez reprit sa vraie forme de nez. Toutes ces aventures, cependant, lui avaient ouvert les idées (3). Il cueillit cinq pommes jaunes: il les mit dans la poche et repartit pour le pays de la demoiselle. La route était longue. Mais les pommes restaient aussi fraîches que le premier jour, aussi rouges, aussi jaunes. Mais le garçon ne les mangea pas. Il avait son idée. Lorsqu’il arriva au pays de la demoiselle, il s’habilla comme un magicien (4). Puis un dimanche il mit les pommes rouges dans une corbeille et alla sur le passage de la fille du roi (5). Il la savait gourmande comme une chatte. |
-------------- 1 Elle la dénoua, s'en ceignit... — Îíà åãî ðàçâÿçàëà è ïîäïîÿñàëàñü... 2 elle ó fut — çä. òàê è ñëó÷èëîñü 3 (elles) lui avaient ouvert les idées — íàâåëè åãî íà ðàçìûøëåíèÿ 4 il s'habilla comme un magicien — îí íàðÿäèëñÿ âîëøåáíèêîì 5 et alla sur le passage de la fille du roi — è ïîøåë òóäà, ãäå äîëæíà áûëà ïðîåõàòü äî÷ü êîðîëÿ |
Et voilà la princesse arriva et vit ces belles
pommes. Le magicien montra sur ses doigts qu’il demandait cinq pièces d’or. Puis
il partit, parce qu’il savait que bientôt il serait en danger. La fille du roi prit ces pommes, les mangea l’une après l’autre, et le nez se mit à pousser; jusqu’à l’estomac, jusqu’aux genoux; pour finir jusqu’à ses pantoufles. Elle chercha le magicien, qui ne se trouva plus. Elle appela les médecins, mais pas de remède (1). Le troisième jour on vint dire qu’un sorcier était là qui voulait lui parler. Entre un homme, tout noir. Il tire une pomme plus jaune que l’or et dit que la demoiselle n’aura plus ce nez long si elle la mange. La demoiselle se décida à la manger. Et, oh bonheur! son nez diminua un peu. Mais le nez ne reprit pas sa vraie forme. Alors le sorcier dit: — Peut-être la demoiselle a un trésor qui ne lui appartient pas? Elle tira la bourse magique de sa poche et la donna au sorcier. Il prit la bourse et la cacha. La deuxième pomme jaune eut son effet: le nez diminua un peu plus. — Probablement il y a encore une chose qui n’appartient pas à la demoiselle? — Presque rien, seulement ce cornet de cuivre que j’ai gardé. Elle donna le cornet, reçut une troisième pomme, la mangea, et son nez diminua de nouveau un peu. Mais le nez était encore assez long. Et le sorcier de reprendre son refrain (2). — Ah! dit la demoiselle: j’oubliais! mais c’est si peu de chose: une vieille ceinture que j’ai là sous ma robe... Elle la donna au garçon qui la passa autour de lui (3). Mais le nez n’avait pas encore repris sa vraie forme. Alors le sorcier pensa: «Je veux retourner auprès de la gentille meunière.» |
-------------- 1 mais pas de remède — íåò íèêàêèõ ñðåäñòâ 2 le sorcier de reprendre son refrain — çä. âîëøåáíèê îïÿòü ïîâòîðèë ñâîé âîïðîñ 3qui la passa autour de lui — êîòîðûé îïîÿñûâàåòñÿ èì |
La ceinture magique agissait. Le garçon se trouva,
avec sa pomme, dans le moulin, près de la petite meunière qui avait l’air si bon,
si sincère. Et la belle princesse resta dans son château avec ce nez qui lui pendait jusqu’au menton. Mais le garçon ne pensa plus jamais à la fille du roi. Ce même printemps la fille du moulin et lui se marièrent. Elle remit sous la pierre: bourse, cornet, ceinture et ils vécurent heureux, et ils eurent beaucoup d’enfants. Et voici Le conte est fini. |
Henri Pourrat Le Trésor des contes |