044
Henri Pourrat
Le Trésor des contes
LE CONTE DES TROIS FONTAINES
Il y avait une fois une pauvre veuve. Elle avait trois fils. Cette femme était vieille et malade. Elle ne pouvait plus marcher qu’avec un bâton.

— Pauvres petits, dit-elle, il me faut un âne: il m’aidera à travailler aux champs.
— Mère, dit l’aîné, c’est tout simple: faites-moi une galette. J’irai à la foire et je vous ramènerai votre âne.

Ils vivaient tous les quatre de pain noir et buvaient de l’eau fraîche. Mais la mère lui fait une galette. Le lendemain matin, l’aîné part, cette galette dans la poche.

Sur le chemin de la foire, il rencontre un coq:
— Bonjour, coq. Je vais à la foire acheter un âne pour ma mère. Prenez un morceau de ma galette.

Il lui donne un morceau pour se mettre en ses grâces (1) et continue son chemin. Il arrive à la foire. Il choisit un âne beau et fort, et l’achète. Puis il reprend le chemin de la maison.
1 pour se mettre en ses grâces — ÷òîáû çàñëóæèòü åãî ðàñïîëîæåíèå
 
En chemin, il trouve une fontaine si claire, si transparente qu’on peut voir au fond chaque pierre.

L’âne tire sur le bridon (1). Il a soif.

«Puisque tu as soif, il faut te laisser boire!» Et le garçon le laisse aller à l’eau. Mais à peine cet âne touche l’eau, le voilà qui commence à sauter (2), à danser, si bien (3) qu’il lâche le bridon et se sauve.

Le garçon revient chez sa mère sans âne.

— Pauvre mère, je vous ramenais un bel âne de la foire. Mais cet âne a vu une fontaine, et quand il a bu de son eau, je ne l’ai plus vu...

Trois jour après, le cadet dit à sa mère:

— Mère, faites-moi une galette, à moi aussi. Je veux aller à la foire, je veux vous ramener un âne.

— Pauvre petit, tu es moins fort que ton frère... Mais si tu veux...

Elle fait une galette, et le cadet part pour la foire.

Et en chemin, il rencontre, comme son frère, un coq.

— Bonjour, coq. Je vais à la foire acheter un âne pour ma mère. Prenez la moitié de ma galette. Et il lui donne la moitié de la galette.

Il arrive à la foire, achète un âne, lui passe le bridon et reprend le chemin de la maison.

À la vue de la fontaine, l’âne tire le bridon pour aller boire. Mais le garçon le tient si fort que l’âne ne s’approche pas de la fontaine.

Un peu plus loin, cependant, ils trouvent une autre fontaine, plus claire encore que la première. L’âne, cette fois tire encore plus fort sur le bridon et s’approche de l’eau.

Mais à peine a-t-il touché l’eau, qu’il disparaît.

Le garçon revient à la maison, tout honteux.

— Pauvre mère, je vous ramenais un bel âne. Il a passé la première fontaine. À la deuxième, je n’ai pu le retenir, quand il a bu, je ne l’ai plus vu.

Trois jours après, le troisième garçon dit à sa mère:

— Pauvre mère, à moi aussi, faites une galette. J’irai à la foire et je vous ramènerai un âne...
— Pauvre petit, tu es si faible!
— Pauvre mère, faites-moi la galette!
--------------
1 L’âne tire sur le bridon. — Îñåë òÿíåò çà ïîâîä.
2 le voilà qui commence à sauter — êàê îí íà÷èíàåò ïðûãàòü
3 si bien — äî òàêîé ñòåïåíè
 
Et le troisième garçon va acheter l’âne, la galette dans sa poche.

Lui aussi, avant d’arriver à la foire, il rencontre en chemin un coq.

— Coq, bonjour! Je vais à la foire acheter un âne pour ma mère. Prenez, s’il vous plaît, toute ma galette.

Il arrive à la foire, il achète un bel âne, il lui passe un bridon et reprend le chemin de la maison.

À la première fontaine, l’âne tire et veut aller boire. Mais le garçon le tient très fort et l’âne passe sans s’arrêter. (1)

À la deuxième fontaine, l’âne saute de nouveau. Mais le garçon le tient si fort que l’âne continue son chemin.

À la troisième fontaine... Car voilà, il y avait une troisième fontaine, plus claire encore. Et cette fois aussi le garçon tient l’âne très fort.

Et l’âne passe devant cette eau sans la toucher, et suit le garçon jusqu’à la maison de sa mère.

Sa mère qui est à la fenêtre, le regarde avec surprise et dit:

— Pauvre petit, comment as-tu fait, toi ce que tes frères n’ont pas su faire?

— Pauvre mère, j’ai donné toute ma galette au coq, sans rien me laisser 1(). Les fontaines étaient si claires, que je ne pouvais laisser l’âne gâter l’eau (2).
--------------
1 sans rien me laisser — íè÷åãî ñåáå íå îñòàâèâ
2 je ne pouvais laisser l’âne gâter l'eau — ÿ íå ìîã äîïóñòèòü, ÷òîáû îñåë çàìóòèë âîäó
 
Henri Pourrat
Le Trésor des contes