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044 Henri Pourrat Le Trésor des contes |
LE CONTE DU GROS POISSON |
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Il y avait une fois un pêcheur qui avait trois fils.
Il habitait une pauvre cabane au bord de la rivière. Il avait un petit chien et un
cheval qui portait les deux paniers, quand il allait vendre son poisson à la
ville. Tous les jours les trois petits regardaient leur père qui partait avec le poisson qui luisait comme l’argent et comme l’or. Les garçons voulaient manger un poisson à leur dîner de midi. Un matin que le père partait comme d’habitude(1) à la ville avec la pêche, ils dirent à leur pauvre mère: — Le père va tous les jours à la rivière et jamais, jamais il ne rapporte un poisson pour nous! — C’est qu’il faut les vendre pour vivre, pauvres petits. Mais quand son homme rentra de la ville, elle lui dit: — Vois-tu, pauvre homme, il faudra qu’un jour tu pêches un poisson pour les garçons. |
-------------- 1 un matin que le père partait comme d'habitude — îäíàæäû óòðîì, êîãäà îòåö, êàê îáû÷íî, óõîäèë |
— Si tu le veux, je le veux, pauvre femme. Demain je
me lève d’un peu plus grand matin (1) et le premier poisson que je prends, il est
pour les petits. Le lendemain il se lève avant que le coq chante. Il va à la rivière dans le brouillard, il jette son filet, le tire, et voilà qu’il amène un poisson si gros, si gros qu’il ne pouvait pas le mettre dans la barque. — Pauvre poisson, ce n’est pas moi qui t’ai donné la vie, ce ne sera pas moi qui te donnerais la mort! Et il remet le poisson à l’eau. Il remonte la rivière (2) un peu plus loin; à un autre endroit il rejette le filet dans la rivière. Mais quand il le ramène, il ramène de nouveau un gros poisson. Cette fois il le met dans sa barque. — Pauvre poisson, tu es trop grand pour moi ! Il retourne à la cabane et appelle sa femme. — Ha! pauvre femme! Regarde ce que je t’apporte. Le poisson était si gros qu’il n’y avait pas de poêle où le faire cuire (3). Ils allument un grand feu, ils mettent le poisson sur lès pierres plates et préparent le dîner. Enfin ils mangent le poisson. Cependant le poisson était si gros, si gros, que le père, la mère et les enfants ne pouvaient le finir. Ils appelèrent le petit chien et lui donnèrent les restes. Le chien mangea le poisson et devint rond comme un tonneau, mais il ne pouvait pas aussi le finir. Alors la mère porta ce qui restait au cheval. Le cheval mangea le poisson, mais il restait encore un gros morceau. — Eh bien, dit le père, je vais enterrer ce qui reste dans le jardin, sous notre arbre! Il prit sa bêche et fit un grand trou sous un grand arbre, au fond du jardin et mit là ce qui restait du gros poisson. Le lendemain le chien avait trois petits chiens, le cheval trois petits poulains. — Il faut aller voir dans le jardin, dit le père. |
-------------- 1 je me lève d’un peu plus grand matin — ÿ âñòàíó íåìíîãî ïîðàíüøå 2 il remonte la rivière — îí ïîäíèìàåòñÿ âûøå no òå÷åíèþ ðåêè 3 où le faire cuire — ãäå åå ìîæíî áûëî áû ïðèãîòîâèòü (çàæàðèòü) |
Et sous l’arbre, ils trouvèrent trois épées. — Vous êtes trois, dit le père à ses garçons; vous prendrez chacun une épée, un chien et un cheval. On vit bientôt que le premier chien allait comme le vent. On l’appela Va-si-vite-que-le-vent. Le deuxième brisait le fer entre ses dents. On l’appela Brise-fer. Le troisième brisait tout. On l’appela Brise-tout. — Quand les chevaux seront assez forts pour vous porter, dit le père, vous partirez pour votre tour de France (1). Seulement il ne faudra pas partir tous du même côté. — Mais, dit l’aîné, si mes frères sont malades comment ferai-je pour le savoir? Le père donna à chaque fils une vessie de cochon bien gonflée (2). — Quand vous verrez que d’un côté la vessie se dégonfle, vous saurez qu’un de vos frères qui est allé de ce côté se trouve en grand danger (3). C’étaient trois beaux garçons: tous trois grands et blonds avec des yeux qui riaient, qui brillaient. Ils dirent à leurs père et mère qu’un jour ils reviendront et leur donneront au lieu de leur pauvre cabane un beau château. Alors chaque frère prit son épée, appela son chien, monta sur son cheval et partit. Le plus jeune allait derrière son chien Va-si-vite-que-le-vent qui n’avait pas volé son nom (4), puisqu’il allait comme le vent. Le soir il arriva près d’une forêt et il vit là un château. «Voilà qui se trouve à merveille (6). Je ne savais où passer cette nuit avec mon cheval et mon chien.» Il avance dans une grande cour, regarde à droite, à gauche: personne. Il va vers l’écurie: personne ne se montre. Alors il amène son cheval et l’attache. Puis il revient dans la cour, entre dans la cuisine. Le feu est allumé mais il ne voit personne. |
-------------- 1 pour votre tour de France — â ïóòåøåñòâèå ïî Ôðàíöèè 2 une vessie de cochon bien gonflée — õîðîøî íàäóòûé ñâèíîé ïóçûðü 3 (il) se trouve en grand danger — íàõîäèòñÿ â áîëüøîé îïàñíîñòè 4 qui n'avait pas volé son nom — êîòîðûé îïðàâäûâàë ñâîå èìÿ 5 Voilà qui se trouve à merveille. — Âîò ÷òî ÷óäåñíî è êñòàòè. |
Il s’assied devant le feu, son chien près de lui.
Tout à coup une petite porte s’ouvre, une vieille sorcière entre. Elle tremble
comme une feuille. — Pourquoi, vieille sorcière, trembles-tu si fort? — Oh! Oh, monsieur, j’ai si froid! — Si tu as froid, approche-toi du feu! — Monsieur, j’ai trop peur du chien. Attachez-le. — Je ne suis pas ton valet pour attacher le chien. Attache-le toi-même. Aussitôt elle prend un de ses cheveux et attache Va-si-vite-que-le-vent au mur. Puis elle saute sur le garçon, le jette par terre et le traîne jusqu’à une cave très profonde. Puis elle ferme la cave par une pierre grosse comme la table. Le malheureux appelait tant qu’il pouvait (1): — Va-si-vite-que-le-vent, à mon secours (2)! À mon secours, Va-si-vite-que-le-vent! Mais Va-si-vite-que-le-vent était attaché par un cheveu de la sorcière et ne pouvait pas venir au secours de son maître. Le lendemain matin, le deuxième garçon regarde la vessie, la voit toute dégonflée d’un côté (3). «Holà! Mon pauvre frère, il est en grand danger.» Il prend son épée, appelle Brise-fer, saute sur son cheval et part. Toute la journée il allait. Vers le soir il arrive devant un grand château au milieu d’une forêt. «Je vais descendre là (4) et je demanderai: peut-être quelqu’un a-t-il vu mon frère?» Il entre, s’arrête au milieu de la cour, regarde, ne voit personne, appelle, ne reçoit pas de réponse. Puis il va à l’écurie. Là il aperçoit un cheval attaché et reconnaît le cheval de son frère. «Ho! mon frère est dans le château, il est ici, malade; il faut trouver quelqu’un pour demander.» Il attache son cheval et monte à la cuisine. Là il voit Va-si-vite-que-le-vent attaché au mur. |
-------------- 1 le malheureux appelait tant qu’il pouvait — íåñ÷àñòíûé çâàë êàê ìîæíî ãðîì÷å 2 à mon secours! — êî ìíå, íà ïîìîùü! 3 (il) la voit toute dégonflée d’un côté — âèäèò, ÷òî ïóçûðü îïàë ñ îäíîé ñòîðîíû 4 je vais descendre là — ÿ çäåñü îñòàíîâëþñü |
À ce moment la vieille vient, toute tremblante. — Pourquoi trembles-tu si fort, vieille sorcière? — Hélas, monsieur, j’ai froid. — Si tu as froid, approche-toi du feu! — Hélas, monsieur, j’ai peur de ce chien, attachez-le. — Est-ce que je suis ton valet pour attacher le chien? Attache-le toi-même, vieille sorcière. La vieille prend un de ses cheveux, elle attache Brise-fer, se jette sur le garçon et le traîne par les escaliers jusqu’à la cave de la grande cour. Le garçon crie, appelle: «Brise-fer, Va-si-vite-que-le-vent.» Mais Brise-fer et Va-si-vite-que-le-vent sont attachés par un cheveu de la vieille, et ils ne peuvent venir au secours des garçons. Après une nuit passée à la belle étoile (1), le troisième garçon — c’était l’aîné — se lève le matin et regarde la vessie. Celle-ci était dégonflée des deux côtés. «Ho! mes pauvres frères, ils sont en danger», pense-t-il. Sans perdre une minute, il saisit son épée, appelle Brise-tout et saute sur son cheval. Enfin vers le soir, il est devant une forêt. Il voit le château de la vieille. «Il faut entrer là, demander si quelqu’un n’a pas rencontré mes frères.» Il regarde partout et voit une petite bergère. Il tourne son cheval et lui demande si elle n’a pas vu ses frères, et comme elle ne sait rien, il veut entrer au château. — Ho! monsieur, prenez garde (2). Il y a là une vieille sorcière. Les gens qui entrent chez elle, ne reviennent jamais. — C’est là que sont mes frères: il faut entrer! Il entre dans la cour, voit l’écurie où étaient les deux chevaux de ses frères. Il attache son cheval à côté des deux autres; il monte à la cuisine. Là, il voit les deux chiens attachés au mur. Il attend. Une vieille entre qui tremble des pieds jusqu’à la tête. — Qu’as-tu, vieille sorcière, à trembler ainsi? — Hélas, monsieur, j’ai froid. |
-------------- 1 après une nuit passée à la belle étoile — ïîñëå ñíà ïîä îòêðûòûì íåáîì 2 prenez garde — áåðåãèòåñü |
— Si tu as froid, approche-toi de ce feu! — Je ne peux pas, j’ai peur de votre chien, attachez-le. — Est-ce que je suis ton valet pour attacher le chien? Attache-le toi-même, vieille sorcière. Comme pour Va-si-vite-que-le-vent et pour Brise-fer, la vieille prit un de ses cheveux et attacha Brise-tout au mur. Puis elle voulut se jeter sur le garçon comme elle avait fait pour les deux autres, mais le garçon cria: — Brise-tout! Brise-tout, c’était Brise-tout. Il pouvait tout briser même les cheveux de la sorcière. D’un coup il brisa les cheveux des deux chiens. Tous trois se jetèrent sur la vieille sorcière et la déchirèrent. La vieille criait, elle priait de chasser les chiens et elle promit de dire où se trouvaient les deux frères. — Dis-le vite, vieille sorcière, et malheur à toi s’il manque un seul cheveu à leur tête (1). — Ils sont là! Ils sont dans la cave! Le frère courut à l’écurie, souleva la pierre et tira de la cave les deux garçons. Et les trois garçons avec les trois chevaux et les trois chiens: Va-si-vite-que-le-vent, Brise-fer et Brise-tout, partirent en grande joie chercher leurs père et mère. Et le surlendemain ils les ramenèrent pour vivre toujours au château de la vieille. Puis le coq chanta Et mon conte finit là. |
-------------- 1 malheur à toi s’il manque un seul cheveu à leur tête — ãîðå òåáå, åñëè õîòü îäèí âîëîñ óïàë ñ èõ ãîëîâû |
Henri Pourrat Le Trésor des contes |