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044 Henri Pourrat Le Trésor des contes |
LE DON DE LA VIPÈRE (1) |
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Il y avait une fois un garçon qui était berger de
deux moutons sur la colline. Il était bon et toujours prêt à faire plaisir à
chacun (2). Un jour, donc, il gardait ses moutons appuyé sur son bâton; et il passait les yeux au loin (3), comme font les bergers. Tout à coup, il voit une bête qui sort du bois sur un champ où dort une jeune bergère. «Au loup, bergère! Bergère, au loup!...» Il prend ses sabots, les frappe l’un contre l’autre pour effrayer le loup. Mais le loup ne s’effraie pas. Il faisait très chaud et la bergère dormait toujours près d’un chêne. Son chien faisait comme elle et ses moutons aussi. Alors le garçon court pieds nus pour aller plus vite au secours du troupeau de la bergère, sans s’arrêter. Il arrive |
-------------- 1 Le don de la vipère — Äàð ãàäþêè 2 toujours prêt à faire plaisir à chacun — ãîòîâûé îêàçàòü êàæäîìó óñëóãó 3 il passait les yeux au loin — îí ãëÿäåë ïðèñòàëüíî âäàëü |
juste à temps. Le loup saisit le plus gros des
moutons et l’emporte. Le garçon se jette sur le loup et le renverse d’un coup de
son bâton, tandis que le chien attrape ce loup à la gorge et l’étrangle. — Berger, berger, comment vous remercier! En récompense, je vous donne mon chien! Le berger se dit que le chien c’est déjà une bonne récompense. Et tout de suite il fait amitié (1) avec ce chien, par amour de la bergère (2). Trois jours après, en compagnie du chien il gardait ses deux moutons en même lieu. Tout à coup il voit que l’orage commence. Et lui qui voyait tout, il voit le père de la bergère qui dort dans le champ avec les autres paysans. Comme il faisait très chaud ils dormaient tous. — L’orage est là! L’orage est là, crie le berger. Et il court et il les réveille juste à temps, et avec eux tous il se met à travailler. Ils ont ramassé le foin, vite, vite, tandis que le tonnerre grondait et le vent s’élevait. Enfin, ils ont ramené le foin à la maison sous les premières gouttes de la pluie. — Garçon, a dit le père de la bergère, tu m’as rendu service (3). En récompense, je te donne mon coq. Et le garçon n’a pas osé demander la fille. Il était pauvre, il avait une mauvaise maisonnette près du bois. Le père de la bergère était riche: il avait une bonne maison et beaucoup d’arbres fruitiers dans son jardin. Le garçon a rougi et a pris le coq. Il a tout de suite fait amitié avec ce coq pour l’amour du père de sa bergère. Trois jours après, le garçon gardait ses deux moutons sur la colline en compagnie de son chien et de son coq. Comme le soir tombait, le garçon a allumé un feu. «En toute saison le feu est bon.» Avant de rentrer à la maison, il s’est assis là, sur une pierre, il a regardé le feu. |
-------------- 1 il fait amitié — îí ïîäðóæèëñÿ 2 par amour de la bergère — èç-çà ëþáâè ê ïàñòóøêå 3 tu m’as rendu service — òû îêàçàë ìíå óñëóãó |
Tout à coup il a entendu une voix—la voix d’une petite vipère au collier d’or qui
se trouvait au milieu de la flamme. «Berger, berger, sauve-moi de ce feu!» Et comme il était bon, même pour une vipère, vite il a tendu son bâton: — Petite vipère au collier d’or, Sauve-toi de la mort! Elle s’est jetée sur le bâton, est montée à son bras, et ensuite à son cou. Et lui, là, tout pâle dit: — Ha, qu’ai-je fait? Vipère de vipère! Je t’ai donné la vie, tu vas me donner la mort... — Non, non, berger, ne me crois pas si mauvaise. Laisse-moi un moment à ton cou, je tremble trop. J’ai si peur du feu. En récompense, je veux qu’un sort te vienne (1). Fais seulement ce que je te dirai. — Petite vipère au collier d’or, Dis-moi quel est ce sort. — C’est d’entendre le langage des bêtes. Lève-toi maintenant, berger, ramène-moi au tas de pierres, près de ta maison. Là demeurent ma mère et mes sœurs. — Et puis, petite vipère? — Et puis, berger, ma mère va te demander quelle récompense tu veux pour m’avoir sauvée de la flamme. Tu répondras: «Je veux comprendre le langage des bêtes, comme je comprends le langage des hommes.» Je parlerai pour toi, et je ferai tout pour toi. Il s’est levé, la vipère à son cou. Il est allé au tas de pierres. La vipère a sifflé, lui, il a regardé, et tout à coup il a vu là, sous ses pieds, une grande quantité de vipères. On dit que ces vipères portent chance à ceux qui les prend en sa main. (2) Mais ces vipères ont sifflé. Il a eu peur. — Mère, sœurs! a dit la vipère, ce berger m’a tirée du feu, il m’a sauvé la vie. |
-------------- 1 je veux qu’un sort te vienne — ïóñòü ñâåðøèòñÿ ñóäüáà 2 On dit que ces vipères partent chance à ceux qui les prend en sa main. — Ãîâîðÿò, ÷òî ýòè ãàäþêè ïðèíîñÿò óäà÷ó òåì, êòî áåðåò èõ â ðóêè. |
— Merci à toi, berger, a dit la mère, la plus grande
de ces vipères. Tu as sauvé ma fille, tu auras ta récompense. Dis, que désires-tu? — Je veux comprendre le langage des bêtes, comme je comprends le langage des hommes. — Tu demandes trop. Demande une autre récompense, berger! — J’ai demandé cette récompense, je m’y tiens (1). Ta fille m’a promis ce sort. — Ma fille a trop promis dans sa peur. Berger, c’est une récompense trop grande. Elle te donnera beaucoup. Comprendre le langage des bêtes, c’est savoir tous les secrets. Il n’y a pas don plus fort sur terre. (2) Puisque tu le veux tant, tu l’auras. Mais rappelle-toi, berger: si tu racontes ce secret, tu meurs à l’instant. — Grande vipère au collier d’or, Grand merci de ce sort! Le berger est rentré chez lui, il a bu de l’eau fraîche. Puis s’est couché sur son lit. «Un chien, un coq, voilà de bonnes récompenses. Mais ce don des serpents? À quoi me servira de comprendre mes bêtes?» Tout en pensant, il s’endort. Le lendemain il se lève de bon matin, il sort de la maison, s’approche du tas de pierres où étaient les vipères, entend deux petites voix, et, bien surpris, il a compris ce que disaient les vipères. — S’il savait ce qu’il a sous les pieds, il se mettrait à creuser! (3) Il court pour prendre sa bêche, il creuse et recreuse. Et enfin il trouve un tonneau plein d’argent, puis un tonneau plein d’or. — Petite vipère au collier d’or, Grand merci du trésor! Et bientôt il bâtit un château. Et il habite là avec son chien, son coq. Au chien, il a donné cent moutons à garder, et au coq — cent poulettes à garder. |
-------------- 1 je m’y tiens — ÿ íå îòñòóïëþñü 2 Il n’y a pas don plus fort sur terre. — Íåò ëó÷øåãî äàðà íà çåìëå. 3 S’il savait ce qu’il a sous les pieds, il se mettrait à creuser ! — Åñëè áû îí çíàë, ÷òî íàõîäèòñÿ ó íåãî ïîä íîãàìè, îí òîò÷àñ æå íà÷àë áû ðûòü! |
«Mais moi, s’est-il dit, maintenant que j’ai un château il faut me marier.» Alors, il a osé demander la bergère à son père! Tout de suite on la lui a donnée. À dater de ce jour (1) ils vécurent heureux avec leurs enfants, en compagnie de leur chien et de leur coq. Et le coq a chanté, Coqueléqué, coqueléqué! Et voilà mon conte achevé. |
-------------- 1 à dater de ce jour — íà÷èíàÿ ñ ýòîãî äíÿ |
Henri Pourrat Le Trésor des contes |