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Langues et cité, n° 2 : les pratiques langagières des jeunes

Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques

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Petits « calandrons » devenus grands…
Depuis 1979, le nombre des « Calandretas » (écoles associatives laïques) implantées
dans des villes de l’ensemble du domaine occitan, est passé de 2 à 37 et le nombre des « calandrons » de quelques dizaines à 1695 en 2001.
En 1999 était lancée, au sein
de l’Atelier de Recherche en
Sociolinguistique et d’étude
des représentations1 et grâce
à une aide de l’Observatoire
des pratiques linguistiques,
une enquête en direction
d’une population de jeunes
Français au parcours scolaire
atypique : les ex-« calandrons ».
Anciens élèves des « Calandretas »,
écoles maternelles et primaires
bilingues occitano-francophones,
certains d’entre eux célébraient en
1999 les vingt ans des créations
des maternelles bilingues de Pau
et de Béziers. Depuis 1979, le nombre
des « Calandretas » (écoles associatives
laïques) implantées dans des villes
de l’ensemble du domaine occitan,
est passé de 2 à 37 et le nombre
des « calandrons » de quelques
dizaines à 1695 en 2001.
Le moment était tout indiqué
pour une recherche sociolinguistique
en bonne et due forme : la microenquête
par entretiens semi-directifs
a été réalisée2 auprès de dix-sept
ex-«calandrons » appartenant
aux premières promotions de la même
« Calandreta » de Béziers (la première,
car il y en a aujourd’hui une
deuxième)3. Afin d’assurer
(éventuellement) une présence
de l’occitan dans les entretiens,
ces derniers ont été confiés
à un tandem d’enquêtrices constitué
d’une ancienne étudiante en sciences
du langage et d’une future institutrice
de « Calandreta ».
Aujourd’hui nous disposons
d’une matière limitée certes mais
d’un grand intérêt pour
la connaissance du vécu
et représentations linguistiques après
une scolarisation en « Calandreta »,
problématique qui n’avait fait
jusqu’ici l’objet d’aucune recherche
sociolinguistique. Cette matière est
en cours de traitement et les résultats
de l’analyse du corpus d’entretiens
seront diffusés en direction des
chercheurs et des acteurs intéressés.
Déjà, deux ou trois idées-force
semblent se dégager d’une approche
globale des propos recueillis.
Tout d’abord, la scolarisation en
Calandreta est ressentie par les
ex-« calandrons » comme une période
agréable de leur scolarité à l’égard
de laquelle ils éprouvent une certaine
nostalgie.
Concernant l’intégration au sein
de l’institution scolaire publique
(passage au collège), ils semblent
vouloir relativiser dans un premier
temps les effets négatifs de la rupture
qu’elle a pu constituer. Cependant,
en cours d’entretien, ils reprochent
souvent à leur maitre ou maitresse
de « Calandreta » (qu’ils révèrent
unanimement par ailleurs) de ne pas
les avoir suffisamment préparés
à ce transfert dont ils finissent par
évoquer les aspects déconcertants (en
ce qui concerne le cadre humain et la
démarche pédagogique
essentiellement). Ils valorisent
les méthodes employées en
« Calandreta », qui favorisent
semble-t-il l’apprentissage de
l’autonomie (et leur avait donc permis
d’être plus à l’aise que les autres
collégiens dans le travail personnel).
Mais ce qui ne manquera pas d’en
étonner plus d’un, c’est le désintérêt
majoritaire pour la mouvance militante
occitaniste et une désaffection pour
la création culturelle occitane actuelle.
Et plusieurs qualifient même de « patois
» l’occitan hérité (sans faire cependant
état d’une réflexion sur ce sujet),
ce qui est pour le moins
surprenant quand on sait que le
désignant stigmatisant a été au centre
de nombreuses études
sociolinguistiques largement diffusées.
Enfin, et cela peut apporter
un éclairage à ne pas négliger :
ces ex-« calandrons » se souviennent
que c’était bien essentiellement
le français qu’ils parlaient dans la cour
de récréation de leur «Calandreta »…
Apparemment, et sous réserve
d’une analyse approfondie, un bon
colbertiste n’y retrouverait pas ses
phobies.
1 ARSer, Unité de Recherche
du Laboratoire DIPRALANG
(EA 739-Montpellier III)
2 Le protocole d’enquête a été
élaboré par une équipe
pluridisciplinaire composée de
H. Boyer, professeur à Montpellier
III (sociolinguistique),
M-L. Rouquette, professeur
à Paris VIII (psychologie sociale),
M-C. Alén Garabato, professeur
à l’université de St Jacques de
Compostelle (philologie
romane-occitan) et P. Baccou,
directeur des Calandretas de
Béziers.
3 A l’issue de leurs études
secondaires les jeunes gens
concernés ont poursuivi
des études supérieures dans divers
domaines proposés par l’Université
(un seul s’est orienté vers
une spécialisation en occitan)
Henri BOYER
Professeur à l’université de Montpellier III.
 
Les pratiques langagières des jeunes