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Langues et cité, n° 2 : les pratiques langagières des jeunes

Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques

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Quelles pratiques linguistiques régionales chez des élèves
de zones suburbaines en Bretagne gallo ?

C’est la question à laquelle a
répondu une recherche menée
au sein du Centre de Recherche
sur la Diversité Linguistique de
la Francophonie (EA 3207)
de l’université de Haute-Bretagne
(Rennes 2) en 2001, avec le soutien
de la D.G.L.F.L.F. Depuis quelques
années, notre équipe s’est intéressée
à la continuation des contacts gallofrançais
dans les régionalismes du
français (notamment chez des jeunes,
y compris urbains). Il est donc apparu
pertinent d’analyser ces régionalismes
chez des enfants de zones suburbaines,
c’est-à-dire banlieues de grandes villes
au contact des zones rurales
environnantes (par ex. Rennes)
ou villes moyennes (par ex. Dol,
Loudéac).
En zone rennaise, on découvre ainsi
des formes régionales chez de
nombreux enfants (rin « rien », clancher
« fermer », goule « gueule », il tombit
« il tomba (passé simple gallo) »,
par exemple). Des prononciations
locales sont attestées, surtout par jeu.
Un test montre que 60% des
collégiens interrogés à Bruz (ceinture
péri-urbaine de Rennes), et 40% à
Cesson (banlieue « chic » de Rennes),
ont au moins des compétences
passives quant aux formes régionales,
certains mots recueillant jusqu’à 95%
de compréhension.
Les enfants indiquent des variables
auxquelles, selon eux, sont corrélées
les formes régionales : locuteur
populaire, rural, âgé. Mais
ils renvoient toujours la norme
linguistique ailleurs (tel ce fils de
médecin qui attribue un « langage
soutenu » à un personnage d’un siècle
passé) ou amalgament le régionalisme
dans un ensemble « hors norme »
(j’suis benèze est attribué au « langage
des jeunes » par rapport à la langue
normée supposée des adultes).
L’insécurité linguistique est marquée :
seulement 45% à Cesson et 20%
à Bruz estiment qu’on « parle bien
français » dans la région, plus de 50%
estimant clairement qu’on y « parle
français à notre façon » et 45%
(à Bruz) ou 10% (à Cesson) qu’on y
parle « mal ». Ce chiffre est à relier
aux 40% d’élèves de Bruz qui citent
le patois ou gallo comme parlé dans
la région (0% à Cesson).
Les formes et compétences régionales
attestées partout, souvent
inconscientes ou stigmatisées, sont
surtout présentes à la jonction
rural/urbain. La ville a un rôle moteur
dans la perte des compétences et
formes régionales de Haute Bretagne,
ainsi que dans la stigmatisation
des formes linguistiques locales,
réinterprétées en traits sociaux
dévalorisés. Ce constat pourrait ouvrir
une réflexion sur des stratégies
pédagogiques adaptées.
Philippe BLANCHET,
Professeur des universités, Université Rennes 2
 
Les pratiques langagières des jeunes