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Langues et cité, n° 2 : les pratiques langagières des jeunes

Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques

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Une étude du français parlé en région parisienne

Hétérogénéité des pratiques langagières de jeunes et de leurs formateurs,
dans le cadre d’un processus d’insertion

Dans le cadre d’une recherche en
sociolinguistique urbaine (1),
s’intéressant aux parlers de jeunes
en parcours d’insertion sociale
et professionnelle, évoluant au sein
de centres de formation,
nous nous sommes interrogées
sur la construction et l’hétérogénéité
des interactions dans le cadre
de situations de communication
données, dont témoigne la diversité
des corpus recueillis (2). Notre hypothèse
sociolinguistique principale est la
suivante : les parlers de ces jeunes et
des intervenants qui les encadrent
manifestent des usages variables de
la langue française. Certains de ces
usages peuvent être considérés
comme des formes vernaculaires
variables du français véhiculaire
d’aujourd’hui (3). D’autres fonctionnent
comme des marqueurs identitaires,
c’est-à-dire des indices
linguistiques de l’appartenance
de groupe (familles, groupes d’amis,
voisinage, à composante plus ou
moins mélangée (4) ). D’autres relèvent
de processus d’acquisition de certaines
structures ou formes propres
à la référence scolaire du français,
qui peut rester encore étrangère
à certains jeunes (exclus du système
scolaire ou nouveaux arrivants).
La situation de rencontre entre
les jeunes et les formateurs est
à la frontière d’autres situations
d’énonciation (scolaires, familiales,
professionnelles, des groupes de pairs,
de quartier, etc.) et d’autres types
de rapports interpersonnels plus ou
moins formalisés. Elle génère donc
un espace où se manifestent des
modes d’expression très divers,
en fonction des projets de séances
qui présentent plus ou moins
d’improvisation ou de mise en forme
ainsi qu’en fonction de la variabilité
et de la composition des groupes.
L’échange, c’est-à-dire l’interaction
verbale, se présente comme une
co-construction constitutive
de la dynamique du groupe. C’est en
tenant compte des interlocuteurs
et de la façon dont ils se positionnent
les uns vis-à-vis des autres, selon
les objets et les enjeux des
interactions, que l’on envisage
d’analyser tant la variation des usages
en présence que l’hétérogénéité
constitutive du dire, dans cet espace.
On veut ici montrer que les jeunes
peuvent faire varier leurs usages
(registres, styles, jeux de langage)
et que cela révèle l’étendue de leur
répertoire. Cet usage variable
est constitutif à la fois d’un
positionnement interpersonnel en
mouvement et participe de
l’élaboration de la situation.
Une première étude des données
récoltées en situation «d’observateur
participant» apporte d’ores et déjà
des résultats significatifs. Ainsi, dans
l’espace de socialisation temporaire
que représente le centre de formation,
nous voyons apparaître des formes
de convergence linguistique qui
identifient des statuts
et des positionnements, ainsi que
des déplacements discursifs vers
d’autres modes de convergence. Cette
hétérogénéité est caractéristique d’un
espace où se déploient des relations
interpersonnelles s’actualisant en
interaction sur différents plans de
la structuration sociale. Le centre
de formation constitue donc un lieu
privilégié d’observation d’une
variation du parler des jeunes stimulée
par la situation, ses enjeux,
et le brassage qui s’y produit.

 

1) Cette recherche du Laboratoire
de Sociolinguistique (Équipe
DYNALANG de l’université René
Descartes-Paris V), financée par
la DIV (Délégation
interministérielle à la ville) le
FASILD (Fonds d’action et de
soutien pour l’intégration et la
lutte contre les discriminations), la
P.J.J. (protection judiciaire de la
jeunesse) et la D.G.L.F.L.F.,
et intitulée « Une étude du français
en milieu urbain. Pratiques
et représentations langagières
de jeunes de la région parisienne en
parcours de formation continue »,
se déroule sur deux terrains :
l’association FAIRE à Vitry-sur-
Seine et les Ateliers de la PJJ
en Seine-Saint-Denis, entre mars
2001 et mars 2003.

2) Nous travaillons actuellement sur
un corpus heuristique qui s’est
constitué au fur et à mesure de
notre immersion sur le terrain de
la recherche. Nous avons recueilli
puis sélectionné des séances
de formation, selon les activités ou
tâches proposées et réalisées (journal
collectif, bilan d’une semaine
de remise à niveau, construction
de dialogues : jeux de rôles dans
un immeuble fictif, explications de
mots à partir d’un texte, réflexion
collective.

3) Cf. F. Gadet, 2002, « Français
populaire » : un concept douteux
pour un objet évanescent,
in Pratiques langagières urbaines,
Enjeux identitaires, enjeux
cognitifs, Ville-École-Intégration
Enjeux, n° 130, p. 40-50.


4) Cf. J. Billiez, 1992, Le parler
véhiculaire interethnique de
groupes d’adolescents en milieu
urbain, Des langues et des villes,
Didier Érudition, p. 117-126.
Caroline JUILLARD,
Malory LECLERE,
Adeline MASSON,
Université René Descartes-Paris 5
 
Les pratiques langagières des jeunes