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040 Langues et cité, n° 2 : les pratiques langagières des jeunes Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques |
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Une étude du français parlé en région parisienne Hétérogénéité des pratiques langagières de jeunes et de leurs formateurs, dans le cadre d’un processus d’insertion Dans le cadre d’une recherche en sociolinguistique urbaine (1), s’intéressant aux parlers de jeunes en parcours d’insertion sociale et professionnelle, évoluant au sein de centres de formation, nous nous sommes interrogées sur la construction et l’hétérogénéité des interactions dans le cadre de situations de communication données, dont témoigne la diversité des corpus recueillis (2). Notre hypothèse sociolinguistique principale est la suivante : les parlers de ces jeunes et des intervenants qui les encadrent manifestent des usages variables de la langue française. Certains de ces usages peuvent être considérés comme des formes vernaculaires variables du français véhiculaire d’aujourd’hui (3). D’autres fonctionnent comme des marqueurs identitaires, c’est-à-dire des indices linguistiques de l’appartenance de groupe (familles, groupes d’amis, voisinage, à composante plus ou moins mélangée (4) ). D’autres relèvent de processus d’acquisition de certaines structures ou formes propres à la référence scolaire du français, qui peut rester encore étrangère à certains jeunes (exclus du système scolaire ou nouveaux arrivants). La situation de rencontre entre les jeunes et les formateurs est à la frontière d’autres situations d’énonciation (scolaires, familiales, professionnelles, des groupes de pairs, de quartier, etc.) et d’autres types de rapports interpersonnels plus ou moins formalisés. Elle génère donc un espace où se manifestent des modes d’expression très divers, en fonction des projets de séances qui présentent plus ou moins d’improvisation ou de mise en forme ainsi qu’en fonction de la variabilité et de la composition des groupes. L’échange, c’est-à-dire l’interaction verbale, se présente comme une co-construction constitutive de la dynamique du groupe. C’est en tenant compte des interlocuteurs et de la façon dont ils se positionnent les uns vis-à-vis des autres, selon les objets et les enjeux des interactions, que l’on envisage d’analyser tant la variation des usages en présence que l’hétérogénéité constitutive du dire, dans cet espace. On veut ici montrer que les jeunes peuvent faire varier leurs usages (registres, styles, jeux de langage) et que cela révèle l’étendue de leur répertoire. Cet usage variable est constitutif à la fois d’un positionnement interpersonnel en mouvement et participe de l’élaboration de la situation. Une première étude des données récoltées en situation «d’observateur participant» apporte d’ores et déjà des résultats significatifs. Ainsi, dans l’espace de socialisation temporaire que représente le centre de formation, nous voyons apparaître des formes de convergence linguistique qui identifient des statuts et des positionnements, ainsi que des déplacements discursifs vers d’autres modes de convergence. Cette hétérogénéité est caractéristique d’un espace où se déploient des relations interpersonnelles s’actualisant en interaction sur différents plans de la structuration sociale. Le centre de formation constitue donc un lieu privilégié d’observation d’une variation du parler des jeunes stimulée par la situation, ses enjeux, et le brassage qui s’y produit.
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1) Cette recherche du Laboratoire de Sociolinguistique (Équipe DYNALANG de l’université René Descartes-Paris V), financée par la DIV (Délégation interministérielle à la ville) le FASILD (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations), la P.J.J. (protection judiciaire de la jeunesse) et la D.G.L.F.L.F., et intitulée « Une étude du français en milieu urbain. Pratiques et représentations langagières de jeunes de la région parisienne en parcours de formation continue », se déroule sur deux terrains : l’association FAIRE à Vitry-sur- Seine et les Ateliers de la PJJ en Seine-Saint-Denis, entre mars 2001 et mars 2003. 2) Nous travaillons actuellement sur un corpus heuristique qui s’est constitué au fur et à mesure de notre immersion sur le terrain de la recherche. Nous avons recueilli puis sélectionné des séances de formation, selon les activités ou tâches proposées et réalisées (journal collectif, bilan d’une semaine de remise à niveau, construction de dialogues : jeux de rôles dans un immeuble fictif, explications de mots à partir d’un texte, réflexion collective. 3) Cf. F. Gadet, 2002, « Français populaire » : un concept douteux pour un objet évanescent, in Pratiques langagières urbaines, Enjeux identitaires, enjeux cognitifs, Ville-École-Intégration Enjeux, n° 130, p. 40-50. 4) Cf. J. Billiez, 1992, Le parler véhiculaire interethnique de groupes d’adolescents en milieu urbain, Des langues et des villes, Didier Érudition, p. 117-126. |
Caroline JUILLARD, Malory LECLERE, Adeline MASSON, Université René Descartes-Paris 5 |
Les pratiques langagières des jeunes |