![]() |
Alexandre Dumas Le Comte de Monte-Cristo 6 volumes C. Lévy, 1889. DEUXIÈME VOLUME |
XVI LES CATACOMBES DE SAINT-SÉBASTIEN. Peut-être, de sa vie, Franz n’avait-il éprouvé une impression si tranchée, un passage si rapide de la gaieté à la tristesse, que dans ce moment ; on eût dit que Rome, sous le souffle magique de quelque démon de la nuit, venait de se changer en un vaste tombeau. Par un hasard qui ajoutait encore à l’intensité des ténèbres, la lune, qui était dans sa décroissance, ne devait se lever que vers les onze heures du soir ; les rues que le jeune homme traversait étaient donc plongées dans la plus profonde obscurité. Au reste, le trajet était court ; au bout de dix minutes, sa voiture ou plutôt celle du comte s’arrêta devant l’hôtel de Londres. Le dîner attendait ; mais comme Albert avait prévenu qu’il ne comptait pas rentrer de si tôt, Franz se mit à table sans lui. Maître Pastrini, qui avait l’habitude de les voir dîner ensemble, s’informa des causes de son absence ; mais Franz se contenta de répondre qu’Albert avait reçu la surveille une invitation à laquelle il s’était rendu. L’extinction subite des moccoletti, cette obscurité qui avait remplacé la lumière, ce silence qui avait succédé au bruit, avaient laissé dans l’esprit de Franz une certaine tristesse qui n’était pas exempte d’inquiétude. Il dîna donc fort silencieusement malgré l’officieuse sollicitude de son hôte, qui entra deux ou trois fois pour s’informer s’il n’avait besoin de rien. Franz était résolu à attendre Albert aussi tard que possible. Il demanda donc la voiture pour onze heures seulement, en priant maître Pastrini de le faire prévenir à l’instant même si Albert reparaissait à l’hôtel pour quelque chose que ce fût. À onze heures Albert n’était pas rentré. Franz s’habilla et partit, en prévenant son hôte qu’il passait la nuit chez le duc de Bracciano. La maison du duc de Bracciano est une des plus charmantes maisons de Rome ; sa femme, une des dernières héritières des Colona, en fait les honneurs d’une façon parfaite : il en résulte que les fêtes qu’il donne ont une célébrité européenne. Franz et Albert étaient arrivés à Rome avec des lettres de recommandation pour lui ; aussi sa première question fût-elle pour demander à Franz ce qu’était devenu son compagnon de voyage. Franz lui répondit qu’il l’avait quitté au moment où on allait éteindre les moccoli, et qu’il l’avait perdu de vue à la via Macello. — Alors il n’est pas rentré ? demanda le duc. — Je l’ai attendu jusqu’à cette heure, répondit Franz. — Et savez-vous où il allait ? — Non, pas précisément ; cependant je crois qu’il s’agissait de quelque chose comme un rendez-vous. — Diable ! dit le duc, c’est un mauvais jour, ou plutôt c’est une mauvaise nuit pour s’attarder, n’est-ce pas, madame la comtesse ? Ces derniers mots s’adressaient à la comtesse G…, qui venait d’arriver, et qui se promenait au bras de M. Torlonia, frère du duc. — Je trouve au contraire que c’est une charmante nuit, répondit la comtesse ; et ceux qui sont ici ne se plaindront que d’une chose, c’est qu’elle passera trop vite. — Aussi, reprit le duc en souriant, je ne parle pas des personnes qui sont ici ; elles ne courent d’autres dangers, les hommes que de devenir amoureux de vous, les femmes de tomber malades de jalousie en vous voyant si belle ; je parle de ceux qui courent les rues de Rome. — Eh ! bon Dieu, demanda la comtesse, qui court les rues de Rome à cette heure-ci, à moins que ce ne soit pour aller au bal ? — Notre ami Albert de Morcerf, madame la comtesse, que j’ai quitté à la poursuite de son inconnue vers les sept heures du soir, dit Franz, et que je n’ai pas revu depuis. — Comment ! et vous ne savez pas où il est ? — Pas le moins du monde. — Et a-t-il des armes ? — Il est en paillasse. — Vous n’auriez pas dû le laisser aller, dit le duc à Franz, vous qui connaissez Rome mieux que lui. — Oh bien oui ! autant aurait valu essayer d’arrêter le numéro trois des barberi qui a gagné aujourd’hui le prix de la course, répondit Franz ; et puis, d’ailleurs que voulez-vous qu’il lui arrive ? — Qui sait ! la nuit est très sombre, et le Tibre est bien près de la via Macello Franz sentit un frisson qui lui courait dans les veines en voyant l’esprit du duc et de la comtesse si bien d’accord avec ses inquiétudes personnelles. — Aussi ai-je prévenu à l’hôtel que j’avais l’honneur de passer la nuit chez vous, monsieur le duc, dit Franz, et on doit venir m’annoncer son retour. — Tenez, dit le duc, je crois justement que voilà un de mes domestiques qui vous cherche. Le duc ne se trompait pas ; en apercevant Franz, le domestique s’approcha de lui. — Excellence, dit-il, le maître de l’hôtel de Londres vous fait prévenir qu’un homme vous attend chez lui avec une lettre du vicomte de Morcerf. — Avec une lettre du vicomte ! s’écria Franz. — Oui. — Et quel est cet homme ? — Je l’ignore. — Pourquoi n’est-il point venu me l’apporter ici ? — Le messager ne m’a donné aucune explication. — Et où est le messager ? — Il est parti aussitôt qu’il m’a vu entrer dans la salle de bal pour vous prévenir. — Oh ! mon Dieu ! dit la comtesse à Franz, allez vite ; pauvre jeune homme, il lui est peut-être arrivé quelque accident. — J’y cours, dit Franz. — Vous reverrons-nous pour nous donner des nouvelles ? demanda la comtesse. — Oui, si la chose n’est pas grave ; sinon, je ne réponds pas de ce que je vais devenir moi-même. — En tout cas, de la prudence, dit la comtesse. — Oh ! soyez tranquille. Franz prit son chapeau et partit en toute hâte. Il avait renvoyé sa voiture en lui donnant l’ordre pour deux heures ; mais, par bonheur, le palais Bracciano, qui donne d’un côté rue du Cours et de l’autre place des Saints-Apôtres, est à dix minutes de chemin à peine de l’hôtel de Londres. En approchant de l’hôtel, Franz vit un homme debout au milieu de la rue ; il ne douta pas un seul instant que ce ne fût le messager d’Albert. Cet homme était lui-même enveloppé d’un grand manteau. Il alla à lui ; mais au grand étonnement de Franz, ce fut cet homme qui lui adressa la parole le premier. — Que me voulez-vous, Excellence ? dit-il, en faisant un pas en arrière comme un homme qui désire demeurer sur ses gardes. — N’est-ce pas vous, demanda Franz, qui m’apportez une lettre du vicomte de Morcerf ? — C’est Votre Excellence qui loge à l’hôtel de Pastrini ? — Oui. — C’est Votre Excellence qui est le compagnon de voyage du vicomte ? — Oui. — Comment s’appelle Votre Excellence ? — Le baron Franz d’Épinay. — C’est bien à Votre Excellence alors que cette lettre est adressée. — Y a-t-il une réponse ? demanda Franz en lui prenant la lettre des mains. — Oui, du moins votre ami l’espère bien. — Montez chez moi, alors, je vous la donnerai. — J’aime mieux l’attendre ici, dit en riant le messager. — Pourquoi cela ? — Votre Excellence comprendra la chose quand elle aura lu la lettre. — Alors je vous retrouverai ici ? — Sans aucun doute. Franz rentra ; sur l’escalier il rencontra maître Pastrini. — Eh bien ? lui demanda-t-il. — Eh bien quoi ? répondit Franz. — Vous avez vu l’homme qui désirait vous parler de la part de votre ami ? demanda-t-il à Franz. — Oui, je l’ai vu, répondit celui-ci, et il m’a remis cette lettre. Faites allumer chez moi, je vous prie. L’aubergiste donna l’ordre à un domestique de précéder Franz avec une bougie. Le jeune homme avait trouvé à maître Pastrini un air effaré, et cet air ne lui avait donné qu’un désir plus grand de lire la lettre d’Albert ; il s’approcha de la bougie aussitôt qu’elle fut allumée, et déplia le papier. La lettre était écrite de la main d’Albert et signée par lui. Franz la relut deux fois, tant il était loin de s’attendre à ce qu’elle contenait. La voici textuellement reproduite : « Cher ami, aussitôt la présente reçue, ayez l’obligeance de prendre dans mon portefeuille, que vous trouverez dans le tiroir carré du secrétaire, la lettre de crédit ; joignez-y la vôtre si elle n’est pas suffisante. Courez chez Torlonia, prenez-y à l’instant même quatre mille piastres et remettez-les au porteur. Il est urgent que cette somme me soit adressée sans aucun retard. « Je n’insiste pas davantage, comptant sur vous comme vous pourriez compter sur moi. « P.-S. I believe now to italian banditti. « Votre ami, « albert de morcerf. » Au dessous de ces lignes étaient écrits d’une main étrangère ces quelques mots italiens : « Se alle sei della mattina le quattro mile piastre non sono nelle mie mani, alla sette il conte Alberto avia cessato di vivere[1]. « luigi vampa. » Cette seconde signature expliqua tout à Franz, qui comprit la répugnance du messager à monter chez lui ; la rue lui paraissait plus sûre que la chambre de Franz. Albert était tombé entre les mains du fameux chef de bandits à l’existence duquel il s’était si longtemps refusé de croire. Il n’y avait pas de temps à perdre. Il courut au secrétaire, l’ouvrit, dans le tiroir indiqué trouva le portefeuille, et dans le portefeuille la lettre de crédit : elle était en tout de six mille piastres, mais sur ces six mille piastres Albert en avait déjà dépensé trois mille. Quant à Franz, il n’avait aucune lettre de crédit ; comme il habitait Florence, et qu’il était venu à Rome pour passer sept à huit jours seulement, il avait pris une centaine de louis, et de ces cent louis il lui en restait cinquante tout au plus. Il s’en fallait donc de sept à huit cents piastres pour qu’à eux deux Franz et Albert pussent réunir la somme demandée. Il est vrai que Franz pouvait compter, dans un cas pareil, sur l’obligeance de MM. Torlonia. Il se préparait donc à retourner au palais Bracciano sans perdre un instant, quand tout à coup une idée lumineuse traversa son esprit. Il songea au comte de Monte-Cristo. Franz allait donner l’ordre qu’on fît venir maître Pastrini, lorsqu’il le vit apparaître en personne sur le seuil de sa porte. — Mon cher monsieur Pastrini, lui dit-il vivement, croyez-vous que le comte soit chez lui ? — Oui, Excellence, il vient de rentrer. — A-t-il eu le temps de se mettre au lit ? — J’en doute. — Alors, sonnez à sa porte, je vous prie, et demandez-lui pour moi la permission de me présenter chez lui. Maître Pastrini s’empressa de suivre les instructions qu’on lui donnait ; cinq minutes après il était de retour. — Le comte attend Votre Excellence, dit-il. Franz traversa le carré, un domestique l’introduisit chez le comte. Il était dans un petit cabinet que Franz n’avait pas encore vu, et qui était entouré de divans. Le comte vint au-devant de lui. — Eh ! quel bon vent vous amène à cette heure, lui dit-il, viendriez vous me demander à souper, par hasard ? Ce serait pardieu bien aimable à vous. — Non, je viens pour vous parler d’une affaire grave. — D’une affaire ! dit le comte en regardant Franz de ce regard profond qui lui était habituel ; et de quelle affaire ? — Sommes-nous seuls ? Le comte alla à la porte et revint. — Parfaitement seuls, dit-il. Franz lui présenta la lettre d’Albert. — Lisez, lui dit-il. Le comte lut la lettre. — Ah ! ah ! fit-il. — Avez-vous pris connaissance du post-scriptum ? — Oui, dit-il, je vois bien : « Se alle sei della mattina le quattro mile piastre non sono nelle mie mani, alla sette il conte Alberto avia cessato de vivere. « luigi vampa. » — Que dites-vous de cela ? demanda Franz. — Avez-vous la somme qu’on vous a demandée ? — Oui, moins huit cents piastres. Le comte alla à son secrétaire, l’ouvrit, et faisant glisser un tiroir plein d’or : — J’espère, dit-il à Franz, que vous ne me ferez pas l’injure de vous adresser à un autre qu’à moi ? — Vous voyez, au contraire, que je suis venu droit à vous, dit Franz. — Et je vous en remercie ; prenez. Et il fit signe à Franz de puiser dans le tiroir. — Est-il bien nécessaire d’envoyer cette somme à Luigi Vampa ? demanda le jeune homme en regardant à son tour fixement le comte. — Dame ! fit-il, jugez-en vous-même, le post-scriptum est précis. — Il me semble que si vous vous donniez la peine de chercher, vous trouveriez quelque moyen qui simplifierait beaucoup la négociation, dit Franz. — Et lequel ? demanda le comte étonné. — Par exemple, si nous allions trouver Luigi Vampa ensemble, je suis sûr qu’il ne nous refuserait pas la liberté d’Albert. — À moi ? et quelle influence voulez-vous que j’aie sur ce bandit ? — Ne venez-vous pas de lui rendre un de ces services qui ne s’oublient point ? — Et lequel ? — Ne venez-vous pas de sauver la vie à Peppino ? — Ah ! ah ! qui vous a dit cela ? — Que vous importe ? Je le sais. Le comte resta un instant muet et les sourcils froncés. — Et si j’allais trouver Vampa, vous m’accompagneriez ? — Si ma compagnie ne vous était pas trop désagréable. — Eh bien ! soit ; le temps est beau, une promenade dans la campagne de Rome ne peut que nous faire du bien. — Faut-il prendre des armes ? — Pourquoi faire ? — De l’argent ? — C’est inutile. Où est l’homme qui a apporté ce billet ? — Dans la rue. — Il attend la réponse ? — Oui. — Il faut un peu savoir où nous allons ; je vais l’appeler. — Inutile, il n’a pas voulu monter. — Chez vous, peut-être ; mais, chez moi, il ne fera pas de difficultés. Le comte alla à la fenêtre du cabinet qui donnait sur la rue, et siffla d’une certaine façon. L’homme au manteau se détacha de la muraille et s’avança jusqu’au milieu de la rue. — Salite ! dit le comte, du ton dont il aurait donné un ordre à un domestique. Le messager obéit sans retard, sans hésitation, avec empressement même, et, franchissant les quatre marches du perron, entra dans l’hôtel. Cinq secondes après, il était à la porte du cabinet. — Ah ! c’est toi, Peppino ! dit le comte. Mais Peppino, au lieu de répondre, se jeta à genoux, saisit la main du comte et y appliqua ses lèvres à plusieurs reprises. — Ah ! ah ! dit le comte, tu n’as pas encore oublié que je t’ai sauvé la vie ! C’est étrange, il y a pourtant aujourd’hui huit jours de cela. — Non, Excellence, et je ne l’oublierai jamais, répondit Peppino avec l’accent d’une profonde reconnaissance. — Jamais, c’est bien long ! mais enfin c’est déjà beaucoup que tu le croies. Relève-toi et réponds. Peppino jeta un coup d’œil inquiet sur Franz. — Oh ! tu peux parler devant Son Excellence, dit-il, c’est un de mes amis. Vous permettez que je vous donne ce titre, dit en français le comte en se tournant du côté de Franz ; il est nécessaire pour exciter la confiance de cet homme. — Vous pouvez parler devant moi, reprit Franz, je suis un ami du comte. — À la bonne heure, dit Peppino en se retournant à son tour vers le comte ; que Votre Excellence m’interroge, et je répondrai. — Comment le vicomte Albert est-il tombé entre les mains de Luigi ? — Excellence, la calèche du Français a croisé plusieurs fois celle où était Teresa. — La maîtresse du chef ? — Oui. Le Français lui a fait les yeux doux, Teresa s’est amusée à lui répondre ; le Français lui a jeté des bouquets, elle lui en a rendu : tout cela, bien entendu, du consentement du chef, qui était dans la même calèche. — Comment ! s’écria Franz, Luigi Vampa était dans la calèche des paysannes romaines ? — C’était lui qui conduisait, déguisé en cocher, répondit Peppino. — Après ? demanda le comte. — Eh bien ! après, le Français se démasqua ; Teresa, toujours du consentement du chef, en fit autant ; le Français demanda un rendez-vous, Teresa accorda le rendez-vous demandé ; seulement, au lieu de Teresa, ce fut Beppo qui se trouva sur les marches de l’église San-Giacomo. — Comment ! interrompit encore Franz, cette paysanne qui lui a arraché son moccoletto ?… — C’était un jeune garçon de quinze ans, répondit Peppino ; mais il n’y a pas de honte pour votre ami à y avoir été pris ; Beppo en a attrapé bien d’autres, allez. — Et Beppo l’a conduit hors des murs ? dit le comte. — Justement ; une calèche attendait au bout de la via Macello ; Beppo est monté dedans en invitant le Français à le suivre ; il ne se l’est pas fait dire deux fois. Il a galamment offert la droite à Beppo, et s’est placé près de lui. Beppo lui a annoncé alors qu’il allait le conduire à une villa située à une lieue de Rome. Le Français a assuré Beppo qu’il était prêt à le suivre au bout du monde. Aussitôt le cocher a remonté la rue di Rippetta, a gagné la porte San-Paolo ; et à deux cents pas dans la campagne, comme le Français devenait trop entreprenant, ma foi, Beppo lui a mis une paire de pistolets sur la gorge ; aussitôt le cocher a arrêté ses chevaux, s’est retourné sur son siège et en a fait autant. En même temps quatre des nôtres, qui étaient cachés sur les bords de l’Almo, se sont élancés aux portières. Le Français avait bonne envie de se défendre, il a même un peu étranglé Beppo, à ce que j’ai entendu dire, mais il n’y avait rien à faire contre cinq hommes armés, il a bien fallu se rendre ; on l’a fait descendre de voiture, on a suivi les bords de la petite rivière, et on l’a conduit à Teresa et à Luigi, qui l’attendaient dans les catacombes de Saint-Sébastien. — Eh bien ! mais, dit le comte en se tournant du côté de Franz, il me semble qu’elle en vaut bien une autre, cette histoire. Qu’en dites-vous, vous qui êtes connaisseur ? — Je dis que je la trouverais fort drôle, répondit Franz, si elle était arrivée à un autre qu’à ce pauvre Albert. — Le fait est, dit le comte, que si vous ne m’aviez pas trouvé là, c’était une bonne fortune qui coûtait un peu cher à votre ami ; mais, rassurez-vous, il en sera quitte pour la peur. — Et nous allons toujours le chercher ? demanda Franz. — Pardieu ! d’autant plus qu’il est dans un endroit fort pittoresque. Connaissez-vous les catacombes de Saint-Sébastien ? — Non, je n’y suis jamais descendu, mais je me promettais d’y descendre un jour. — Eh bien ! voici l’occasion toute trouvée, et il serait difficile d’en rencontrer une autre meilleure. Avez-vous votre voiture ? — Non. — Cela ne fait rien, on a l’habitude de m’en tenir une tout attelée, nuit et jour. — Tout attelée ? — Oui, je suis un être fort capricieux ; il faut vous dire que parfois en me levant, à la fin de mon dîner, au milieu de la nuit, il me prend l’envie de partir pour un point du monde quelconque, et je pars. Le comte sonna un coup, son valet de chambre parut. — Faites sortir la voiture de la remise, dit-il, et ôtez-en les pistolets qui sont dans les poches ; il est inutile de réveiller le cocher, Ali conduira. Au bout d’un instant on entendit le bruit de la voiture qui s’arrêtait devant la porte. Le comte tira sa montre. — Minuit et demi, dit-il : nous aurions pu partir d’ici à cinq heures du matin et arriver encore à temps ; mais peut-être ce retard aurait-il fait passer une mauvaise nuit à votre compagnon, il vaut donc mieux aller tout courant le tirer des mains des infidèles. Êtes-vous toujours décidé à m’accompagner ? — Plus que jamais. — Eh bien ! venez alors. |
Alexandre Dumas Le Comte de Monte-Cristo |