007 Livre
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal
1868
SPLEEN ET IDÉAL
XIV

L’HOMME ET LA MER

Homme libre, toujours tu chériras la mer
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes,
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
 
L’Homme et la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !



Man and the Sea

Free man, you will always cherish the sea !
The sea is your mirror ; you contemplate your soul
In the infinite unrolling of its billows ;
Your mind is an abyss that is no less bitter.
You like to plunge into the bosom of your image ;
You embrace it with eyes and arms, and your heart
Is distracted at times from its own clamoring
By the sound of this plaint, wild and untamable.
Both of you are gloomy and reticent :
Man, no one has sounded the depths of your being ;
O Sea, no person knows your most hidden riches,
So zealously do you keep your secrets !
Yet for countless ages you have fought each other
Without pity, without remorse,
So fiercely do you love carnage and death,
O eternal fighters, implacable brothers !
– William Aggeler, 1954


Man and the Sea

Free man, you’ll always love the sea – for this,
That it’s a mirror, where you see your soul
In its eternal waves that chafe and roll ;
Nor is your soul less bitter an abyss.
in your reflected image there to merge,
You love to dive, its eyes and limbs to match.
Sometimes your heart forgets its own, to catch
The rhythm of that wild and tameless dirge.
The two of you are shadowy, deep, and wide.
Man! None has ever plummeted your floor –
Sea ! None has ever known what wealth you store –
Both are so jealous of the things you hide !
Yet age on age is ended, or begins,
While you without remorse or pity fight.
So much in death and carnage you delight,
Eternal wrestlers ! Unrelenting twins !
– Roy Campbell, 1952
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal